Je suis une enfant placée devenue médecin, je veux agir pour eux

Céline Greco, présidente de l’association IM'PACTES
Enfants placés, quel avenir quand on sait qu’à l’âge de 18 ans, les jeunes sont livrés à eux-mêmes ? Il arrive que l’Aide sociale à L’enfance loue des studios insalubres pour y laisser seuls les adolescents.

 

Visible a rencontré Céline Greco, cheffe du service de Médecine de la douleur et de Médecine palliative de l’hôpital Necker Enfants Malades à Paris et  présidente de l’association IM’PACTES.

 

À quel moment de votre vie avez-vous été placée, quelles étaient les circonstances ?

Si je n’avais pas été placée, on ne serait pas en train de discuter.

On ne serait pas en train de discuter parce que je serais morte, en fait. Parce que quand l’infirmière scolaire m’a repérée, j’étais vraiment au bout de ce que je pouvais supporter.

Il a fallu vraiment que, moi-même, je donne des signaux d’alerte en arrêtant de manger, tout simplement. Donc, j’ai perdu énormément de poids et quand je suis arrivée en seconde, je faisais 31 kilos et c’est cet état qui a alerté l’infirmière scolaire.

Je n’ai malheureusement rencontré personne jusqu’à l’âge de 14 ans, qui soit attentif à ma situation, probablement parce que je venais d’un milieu favorisé et que malheureusement, aujourd’hui encore, en 2023, on s’imagine que les violences, c’est dans les milieux défavorisés et donc jamais personne ne s’est posé de question sur ce qui pouvait se passer chez nous.

Quel était votre état psychlogique alors ?

Je me considérais toujours un peu comme une serpillière, le truc moche que tu prends, tu t’en sers, tu le jettes, quand on a plus besoin. Je me considérais moi-même comme ça et le fait d’avoir été placée, ça m’a permis de me battre aussi pour continuer à aller au lycée. Parce que j’étais quand même placée à deux départements de mon lycée, donc je me levais le matin à 4h et demie, je prenais le premier train à Choisy-le-Roi à 5h25. Il fallait de la volonté pour passer mon bac de français, puis le bac et réussir médecine.

Votre état physique ne s’est pas amélioré pendant votre placement, personne ne s’en est préoccupé ?

Je suis rentrée au foyer, je faisais 31 kilos.

J’ai envie de dire, j’en suis sortie et je faisais toujours le même poids parce que je n’ai pas du tout été suivie sur le plan de la santé non plus. Cette expérience-là, elle a été salutaire mais compliquée. Et c’est pour ça qu’en tant qu’étudiante en médecine, je me suis dit que maintenant, j’avais vu les deux côtés de la barrière.

La barrière de l’enfant victime de violences, placé à l’Aide Sociale à l’Enfance et puis le côté médecin qui n’est pas assez formé, qui ne sait pas bien repérer et qui n’a pas les outils pour prendre en charge. C’est à partir de ce moment-là que je me suis dit, ok, ta vie, tu l’avais rêvée telle quelle et ça va se passer comme ça. Maintenant, qu’estce que tu peux faire pour aider les autres ? Donc j’ai lancé l’association IM’PACTES en mai 2022.

Mais ça faisait longtemps que je réfléchissais à la protection de l’enfance bien sûr, parce que mon engagement en protection de l’enfance a été marqué en 2013 par la sortie du livre que j’ai écrit sous un pseudo, La Démesure.

Et en fait, si j’ai écrit ce livre, c’était pour me dire, ok, si tu es très médiatisée, peut-être que tu pourras accéder aux instances. Je voulais toucher le gouvernement, je voulais pouvoir faire changer les choses avec, entre guillemets, cette double expertise d’enfant victime de violence, enfant placé à l’Aide Sociale à l’Enfance devenue médecin.

Il y a un problème dans le repérage de ces enfants. Il faut qu’on développe des équipes qui soient spécialisées dans le repérage et la prise en charge de ces enfants. Au moment du Covid, on a eu le soutien de Brigitte Macron et de la Fondation des Hôpitaux pour lancer les premières équipes mobiles référentes en protection dans des hôpitaux comme Necker, comme Trousseau, comme Robert-Debré.

Et là, je me suis dit, ok, donc, on peut améliorer la prévention et le repérage de ces enfants.

Un autre aspect du développement des enfants placés vous préoccupe, celui de leur devenir professionnel.

Qu’estce qu’on fait maintenant avec leur scolarité, l’accès à la culture, leur avenir professionnel et leur santé à long terme, ces points sont devenus mon axe pour agir.

Et donc, en 2022, je me suis dit, il faut que je monte ma propre association avec un volet santé et un volet éducation/culture pour faire ce que je pense nécessaire de faire pour ces enfants. Les entreprises cherchent à recruter et ces jeunes ont besoin d’être recrutés. Pour moi, les entreprises, c’est un peu notre fil d’Ariane.

L’idée, c’est que les enfants qui sont parrainés réfléchissent avec leurs parrains au métier qu’ils aimeraient faire et qu’ils nous le présentent ce métier. On organise une journée en juillet pour que chacun présente un le métier de ses rêves.

On voudrait, à partir de l’année 2024, installer un village des métiersadaptés à hauteur d’enfants de primaire, pour que les entreprises partenaires viennent présenter leurs métiers.

Et finalement, c’est le premier contact avec l’entreprise et c’est le début de ce fil d’Ariane. Et ensuite, les entreprises partenaires s’engagent à prendre ces jeunes en stage de troisième, parce qu’en général, ces jeunes en stage de troisième restent à l’Annexe, ils ne trouvent pas de stage.

Il s’agirait de suivre les enfants sur le long terme ?

L’idée, c’est d’accompagner ces enfants dès tout petit. L’association prend en charge les enfants de 3 à 25 ans pour les accompagner dans leur scolarité, dans leur accès à la culture. L’idée étant qu’ils puissent avoir un avenir professionnel dont ils ont rêvé.

Interview Florence Dauchez
21 novembre 2023

Vous pourriez aussi aimer