Réenchanter la politique
Au premier tour de la présidentielle, les partis politiques traditionnels ont essuyé une déroute. Comme à chaque nouveau scrutin désormais, l’abstention s’est manifestée dans les urnes. Est-ce à dire que les français se désintéressent de la politique ? Pas sûr. Mais ils sont en attente d’une nouvelle manière de faire fonctionner notre démocratie. Avant le second tour nous avons donc voulu chez Visible, aller découvrir l’Académie des futurs leaders. Fondée par une femme Alice Barbe elle se veut plus en phase avec le corps électoral et ses aspirations. Rencontre avec une femme engagée.
Interview par Raphaëlle Duchemin
Publié le 20/04/2022
Elle dit qu’elle s’est très tôt construite « contre » mais qu’aujourd’hui elle veut agir « pour ». Après avoir été de multiples combats, contre les violences faites aux femmes, ou pour la défense des immigrés, Alice Barbe s’est trouvée une nouvelle mission et s’est installée rive droite. Un changement d’univers dit-elle en poussant la porte de l’Académie des futurs leaders qu’elle a fondée dans le très chic 6eme arrondissement de Paris. C’est ici qu’elle veut agir désormais pour faire émerger une nouvelle génération de dirigeants issus de la société civile. Et pour elle il y a urgence, d’où l’idée de cette académie « elle a un but, c’est de faire en sorte qu’il soit possible et concevable que si on vient d’un univers dans lequel ça nous paraissait impossible, on puisse rentrer en politique.
On a l’impression que c’est réservé à certaines personnes, un univers monochrome et viriliste qui sort de certaines écoles, alors que non. Le bien commun, l’intérêt général, porter l’écharpe, incarner la devise républicaine, doit être accessible à tous. » Alice s’enflamme et révèle très vite la pasionaria qui sommeille en elle. Elle poursuit : « Il n’y a que 5% d’enfants d’ouvriers ou d’ouvriers, à l’Assemblée ou dans ces grandes écoles. » Sous-entendu il faut que ça change. Si Alice n’a rien contre l’ENA ou les établissements qui jusqu’ici ont formé nos dirigeants elle souhaite aujourd’hui que l’égalité des chances ne soit pas qu’un slogan bienveillant Pour ça, dans son académie les futurs leaders ont été désignés.
Presque déjà élus pour être sur les bancs. Ils ne sont pas tous jeunes mais ils sont représentatifs. « C’est la première année, donc il n’y a qu’une douzaine de personnes. D’ici à cinq ans, j’espère que j’aurai contribué à mettre ma pierre à l’édifice, en formant, en accompagnant une centaine, parce que je pense qu’on peut changer massivement les choses. » Idéaliste Alice ? peut-être mais surtout avant-gardiste. Exemple avec SINGA l’ONG qui prend soin des réfugiés et dont elle a laissé les rênes à Benoit Hamon. Il est d’ailleurs l’un des intervenants de l’académie tout comme François Hollande ; Mais attention Alice veut ouvrir les portes et les fenêtres et ne pas enfermer ses leaders en devenir dans un moule ou dans des cours classiques : ici le cursus est aussi varié qu’instructif pour construire des politiques qui seront en accord avec l’idée voir l’idéal, que la société se fait d’eux. Et il y a du pain sur la planche car le désenchantement est réel. « Je suis assez confiante de me dire que pendant les prochaines années, on aura tout le potentiel de reconstruire quelque chose de plus beau, de plus humaniste, qu’on pourra faire porter des messages et des valeurs qui sont conformes à l’idée qu’on peut se faire de la fraternité, par exemple. Malheureusement, on nous dit et je l’entends il faut être fou pour entrer en politique, mais ce n’est pas vrai. Il faut être intègre, il faut être éthique, il faut avoir de la compassion, il faut être capable de se dire je représente tout le monde, y compris les gens qui ont peur de moi. Et cette notion de compassion, elle est fondamentale parce qu’il faut être aussi ancré, quand on est un leader politique, dans sa communauté, mentalement,
physiquement. A l’Académie ce n’est pas pour rien qu’on a aussi une dynamique de santé mentale, de développement personnel, il y a de la méditation le mardi matin et ça peut sembler farfelu mais je crois que quand on s’apprête à faire ce pas là, il faut absolument prendre soin de soi pour être capable de prendre soin des autres. »
Si Alice a ressenti le besoin de reprendre le flambeau c’est parce que le job n’est plus fait selon elle : « Malheureusement, aujourd’hui, les partis politiques ne forment plus, n’ont plus les ressources pour ce qu’on a essayé de faire, c’est de combler un peu ces trous dans la raquette en disant tu es peut-être super câblé pour devenir député, mais peut-être qu’il te manque quelques notions, je ne sais pas de droit constitutionnel, peut-être que tu as besoin d’en savoir plus sur comment faire une campagne, mais ça peut et ça doit je pense aussi être beaucoup sur, toujours revenir au pourquoi. »
Justement quel est-il son pourquoi à Alice Barbe ? D’où lui vient cette conscience politique aiguisée? J’ai grandi entre Paris et Béziers dit-elle avec une famille, notamment des grands-parents et leur entourage qui revendiquaient l’héritage du maréchal Pétain. Et mes parents, bien sûr, pas du tout, au contraire, étaient très libéraux, un peu punk. donc mon pourquoi ça a été de refuser ça, de dire c’est injuste, d’essayer d’en comprendre les causes, comprendre les causes de la haine, comprendre les causes de la peur. Je ne vais pas aller me battre aujourd’hui avec ma grand-mère qui est une vielle dame. Alors son combat Alice le livre autrement sur le terrain en agissant «Je pensais que les idées, ces idées-là, allaient mourir, avec cette génération. Je m’aperçois que ce n’est pas le cas. » Mais dans la lutte qu’elle engage elle sait que tout va compter la forme et le fond. « On est peut-être face aux derniers relents d’une époque qui va bientôt être révolue Ce qui va être important, c’est les cinq ou dix prochaines années, c’est ça qui va être fondamental pour notre pays, mais aussi et surtout pour notre planète. »
Alors pour bâtir cette génération de leaders Alice se sert des armes modernes :
« Les outils dont on dispose aujourd’hui, pouvoir communiquer, les réseaux sociaux, la technologie évidemment, mais aussi pouvoir se regrouper, faire corps. C’est un peu triste, mais la figure du militant politique qui va tracter sur les marchés, c’est une figure qui est en train de mourir. Et ce sont ces mouvements-là qui prennent le pas. On ne peut pas continuer d’avoir des personnes de plus de 70 ans qui n’ont fait que ça de toute leur vie, qui ne connaissent que les mêmes codes et accepter. Le niveau de défiance et de méfiance aujourd’hui est tel qu’on a vraiment besoin de recréer de la confiance en fait. On a besoin de femmes, de personnes racisées de personnes qui viennent de milieu ouvrier, de la ruralité, de personnes aux religions et aux expériences multiples, de toute cette diversité-là, parce que cette diversité- là, c’est mon pays, c’est la France, il ne faut pas l’oublier. » Tourner la page ou plutôt en écrire une autre pour continuer l’histoire démocratique du pays voilà l’ambition de l’académie : sans renier ce qui a été fait Alice veut marquer malgré tout le changement. « Les élites politiques, et avec tout le respect que je peux avoir pour tous les combats et les victoires démocratiques, ces élites ont quand même échoué, face à la crise climatique, face à la montée des inégalités, face aux instrumentalisations populistes de la peur.
Ces élites, elles sont en état de régression et d’échec. Donc un de leurs échecs, ça a été de ne pas laisser la place. Maintenant, cette place, il faut la prendre. » C’est bien l’intention que nourrit Alice pour ses 12 protégés et celles et ceux qui suivront la toute première promotion.