Set gagnant

Amélie Oudéa-Castéra, Ministre des sports.

A la veille de Roland Garros 2022, nous avions rencontré Amélie Oudéa-Castéra, alors Directrice générale du tennis français, quelques jours avant qu’elle ne soit nommée ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques au sein du gouvernement Élisabeth Borne.
A l’âge de 17 ans, elle a consacré sa vie au tennis professionnel puis, nourrie de l’expérience de la compétition, s’est dirigée vers une autre forme d’exigence, à savoir des études brillantes : Sciences Po, l’ENA, l’Essec puis Axa et Carrefour.
Notre rencontre s’est déroulée à Roland Garros, devant le légendaire Cour central au sol de velours fait de cette terre battue couleur rouge fauve qui fait rêver tant de joueurs.

Interview par Florence Dauchez
Publié le 19 mai 2022 – Mis à jour le 20 mai 2022

FD : – Quand vous regardez ce Central, les souvenirs reviennent ?

AOC : – J’ai en effet eu une première vie dans le tennis de haut niveau, atteignant à peu près la 250ᵉ place mondiale. Et c’est vrai que de retrouver, d’être revenue comme ça à mes premières amours a été fantastiquement ressourçant. J’ai eu mon bac et avec mes parents, on s’était donné le droit que je fasse une année sabbatique pour tout donner au tennis.

FD : – A quel moment avez-vous pressenti que vous alliez prendre une autre direction que le tennis de haut niveau ?

AOC : -Cette année a été presque la plus difficile pour moi parce que j’avais justement un peu perdu mes équilibres entre le sport et les études. En juin 96, quand j’ai joué pour la dernière fois à Roland-Garros en double aux côtés d’Amélie Mauresmo, j’ai posé ma raquette et j’ai dit à Amélie : « écoute je vais m’en tenir là, je ne sens pas que je vais devenir une très grande championne ». J’avais le sentiment à ce moment-là, finalement, d’avoir le cœur assez léger parce que j’avais vécu des fantastiques moments grâce au sport.

J’avais joué les tournois qui me faisaient rêver, j’avais joué contre des adversaires qui me faisaient rêver ou des partenaires. Et puis, j’avais le sentiment finalement d’avoir voyagé un peu dans tous les endroits du monde, là aussi qui m’émerveillaient. Et donc le sentiment d’une expérience très, très pleine et de pouvoir finalement refermer ce chapitre tout en continuant à écrire un petit peu mon livre à moi.

FD : – Se hisser très haut dans le classement mondial suppose un investissement de soi absolu ?

AOC : – Oui, je pense que c’est vraiment un engagement total, un engagement de chaque minute qui est fait de beaucoup de sacrifices, parce que moi, je le disais souvent, il faut pour accéder sur ce court central et y gagner, il faut penser tennis, rêver tennis, dormir tennis, il faut manger tennis, il faut vivre son tennis et finalement, ça laisse très peu de place pour autre chose.

FD :- Quel aspect a été le plus compliqué à gérer pour la jeune pro que vous étiez alors ?

AOC :- A l’époque où j’étais sur les circuits, je pense que les choses ont changées maintenant grâce au fait qu’on a un téléphone portable et aussi des réseaux sociaux. On a mille capacités de se connecter avec son entourage sur WhatsApp, sur plein de choses qui sont devenues possibles et qui ne l’étaient pas à mon époque, où il fallait appeler en PVC pour pouvoir joindre ses parents.

Et donc il m’arrivait de ressentir la solitude dans les halls de gare, dans les halls d’aéroport, dans les chambres d’hôtel qui étaient quand même très importante parce que un match de tennis dure à peu près 2 h, vous comptez votre préparation, vos étirements après et il reste du temps. Et moi, j’avais ce sentiment parfois de solitude, presque un petit peu de vide.

Et donc tout ça me semblait extraordinairement ardu. Ce qui est aussi difficile quand on est dans un parcours d’accession au plus haut niveau, c’est le regard des gens qui peut changer sur vous selon que vous gagniez ou que vous perdez. Le regard aussi des sponsors que vous avez envie de ne pas décevoir s’ils vous ont fait confiance, et en fait, quand on aborde tout ça à treize ou quatorze ans, qu’on est soumis finalement à ces petits chocs, c’est difficile à vivre parce que soi-même on est en construction.

On n’a pas encore compris, décrypté tout ça et on a certaines fragilités, même liées à l’adolescence, parce qu’on sait que c’est des âges où notre propre perception du monde évolue. Et tout ça bout à bout, je trouve crée une forme de fragilité qu’il n’est pas évident de surmonter à ces âges là pour devenir vraiment un grand ou une grande championne.

FD : Aujourd’hui vous abordez Roland Garros depuis votre position de DG, quels sont les enjeux d’un tel rendez-vous ?

AOC :- C’est vraiment un travail de fond qui est mené sur la sélection de nos prestataires, sur les aménagements dans le stade pour continuer à améliorer l’expérience spectateur du tournoi. Sans parler de la dimension RSE de notre Responsabilité Sociale et Environnementale où là encore, on sélectionne nos associations partenaires, nos programmes qui permettent vraiment de travailler sur cette dimension de développement durable et de réduction de notre empreinte carbone.

FD : – peut-on parler du budget ?

AOC :- Alors, c’est un chiffre d’affaires qui est en temps normal dans une édition normale de l’ordre de 260 millions d’euros.

FD : les primes des femmes et des hommes sont équivalentes ?

AOC :- Oui, depuis plusieurs années, nous avons ce qu’on appelle un prize money qui est équivalent pour les joueuses et les joueurs de manière à avoir quelque chose qui soit parfaitement équitable.

FD : Vous arrive t-il de rejouer vos matchs ?

AOC : -Absolument. Il y a quelques matchs de ma carrière que je continue de rejouer, des grandes rencontres, soit des choses que j’ai perdu sur le fil, soit des victoires que parfois je peine encore à croire que j’ai remporté.

Mais en effet, cette vibration reste tout à fait présente en moi 25 ans, parfois 30 ans après, ce qui est tout à fait étonnant.

Florence Dauchez

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