« Il y a une liberté différente entre un homme artiste et une femme artiste à partir du moment où la femme artiste, si elle décide de construire une famille, a une charge mentale hélas bien plus élevée à celle de l’homme. »
Sonia Sieff est photographe, réalisatrice et scénariste.
MM: Comment as-tu décidé de devenir photographe ?
« Je me suis autorisée à être photographe pour mes 17-18 ans, Compte tenu de ma filiation et du fait que mon père était déjà un grand photographe, je dirais que c’est tard parce que j’aurais pu prendre cette voie beaucoup plus tôt. Mais voilà, vers mes 17-18 ans, j’ai commencé à comprendre que ce n’était pas une passion passagère mais un amour véritable. »
MM: Dans ta démarche artistique, quelle difficulté as-tu rencontrée ?
« J’ai deux enfants de deux pères différents. Je me suis rendu compte qu’hélas, pour réussir à créer cet espace nécessaire à la création, c’est à dire une disponibilité, c’était préférable en tout cas d’avoir du temps pour moi et qu’en étant en couple avec deux enfants, c’était délicat. Je ne me suis pas séparée pour être une artiste. Je n’ai pas quitté les hommes avec lesquels j’ai été parce que je voulais être une artiste. Mais je me suis rendu compte que c’était quasiment incompatible. Qu’il était hyper difficile, à part si t’avais un mec qui comprenait vraiment ce que c’était qu’avoir besoin de son espace vital. Que ce soit d’ailleurs pour être une artiste ou pour être une femme en général. d’avoir l’homme qui comprend que tu as besoin de ton espace de création. Ça peut arriver pendant la nuit. Ça peut arriver partout, en fait. Il y a un moment donné où t’as peut-être besoin de faire chambre à part aussi pour parfois aussi créer la nuit, écrire la nuit, réfléchir à des projets la nuit. Parce qu’en fait, la création, elle surgit. Elle surgit pas nécessairement à des heures fixes. Clairement, je n’aurais pas réussi à réaliser mon livre sur les hommes si j’avais été en couple. Ça aurait été trop compliqué à gérer. Trop de jalousie, alors qu’effectivement, pendant des années, les femmes de certains hommes ont laissé leur mari qui étaient photographes, réalisateurs, musiciens partir en tournée, faire des bouquins…etc Et elle souffraient parce qu’il y avait aussi cette notion d’infidélité, peut-être, qui est tapie. »
MM: en 2024 tu publieras un livre de photo consacré au nu masculin, est-ce que ça a été facile de convaincre un éditeur ?
« Ça fait 20 ans que je travaille dessus et que je n’avais pas le droit de le publier avant. Parce que les éditeurs ne m’ont pas autorisée, ils ne m’ont pas suivie. Pas parce que le sujet ne leur plaisaient pas. Pas parce que les images ne leur plaisaient pas. Je pense que les images, ils n’avaient même pas de jugement artistique. Mais clairement, parce que le sujet ne rentrait pas dans leurs schémas de vente. Ça les a complètement perturbés. Et ils ont mis beaucoup de temps à dire non. Ils ont mis parfois… J’ai eu des échanges pendant un an avec certaines maisons d’édition. Donc j’ai perdu un temps fou. »
MM: Quelles sont les réactions sur le livre ?
« En feuilletant mon livre, qui n’est pas encore sorti, qui sort en mars, j’ai observé plein de comportements. Tous les hommes au-delà de 40 ans bloquent. Ils ferment le bouquin tout de suite. Ils disent : “C’est quoi?” Ils regardent la taille des sexes. Ils ne regardent pas les images. Ils ne regardent pas la poésie. Ils ne regardent pas le cadrage. Ils ne regardent que la compétition et la rivalité et c’est dramatique. Donc ça me fait sourire. Ils regardent 5-6 pages et paf, ils l’ont refermé ou alors ils regardent mais ils se comparent. Il y a aussi ceux qui effectivement regardent les images comme on pourrait regarder le nu féminin ou le nu tout court. »
MM: D’où viennent ta confiance et ton approche ?
« Un père qui transmet à sa fille, c’est déjà rare. Je suis élevée par quelqu’un de très féminin. Ma mère était là mais mon père était ultra féminin, ultra doux, à l’opposé de tous les archétypes masculins classiques, Donc en fait, je ne suis pas élevée à l’ancienne. C’est aussi ce qui m’a permis de devenir ce que je suis devenue. »
Interview Marion Molinari
26 septembre 2023
