La mixité dans la Tech, un enjeu de société
Construire un monde plus inclusif commence par l’éducation dès le plus jeune âge aux langages d’avenir. Coder, c’est comme la musique, ça doit s’apprendre très tôt, pour les filles comme pour les garçons…
Interview par Florence Dauchez
Il y a sept ans, Claude Terosier créait l’école Magic Makers avec pour objectif d’enseigner le codage aux enfants dès le plus jeune âge. Sa pédagogie active est inspirée de travaux du MIT et de la pédagogie Montessori.
Ingénieure de formation, c’est en cherchant une école de codage pour son fils, alors âgé de huit ans, qu’elle prend conscience du retard de la France en matière d’apprentissage de ce langage informatique. Au même titre qu’une langue étrangère ou la musique, dit-elle, plus les enfants assimilent le codage tôt, plus ils en maîtrisent les subtilités sans effort.
Claude Térosier a éprouvé elle-même la difficulté de l’apprentissage de la programmation sur le tard en école d’ingénieur, tandis les enfants ont une capacité d’absorption démultipliée.
Cette matière au départ compliquée est assurément accessible aux petits, à condition d’adapter l’apprentissage à l’âge de l’élève, en le rendant ludique.
-« En fait, la programmation informatique c’est simplement de la logique, dit-elle, si l’on souhaite qu’une machine fasse quelque chose à notre place, il faut lui donner des instructions très précises, et dans l’ordre :
Instruction 1, instruction 2 etc, c’est une façon de réfléchir assez structurée. »
Pour les enfants, grâce aux jeux vidéo, c’est encore plus naturel. Permettre à des enfants, non seulement de jouer mais de créer leur propre jeu, de manipuler, de s’approprier les choses et donc de passer de l’autre coté du jeu, répond à un besoin fondamental. Cette création, leur propre création, génère un effet d’excitation, d’émerveillement très fort, constate-elle.
Un fait notable, la proportion de filles dans ce domaine n’est pas encore à la hauteur de ses espérances et des nécessités sociétales.
Au début, par l’effet de la nouveauté, leur présence représentait 30 % des élèves contre 23% aujourd’hui. Ce niveau correspond à peu près à la proportion de femmes dans la Tech. Nous sommes donc toujours très loin de la parité.
« Le premier frein, explique Claude Térosier, se logerait dans l’inconscient collectif et dans les stéréotypes : les parents inscrivent plus facilement leurs fils que leurs filles. Pourtant, les filles apprécient la formation, sont très à l’aise avec le langage, jusqu’à adorer venir régulièrement. Sauf, et c’est là le point à travailler absolument, lorsqu’elles se retrouvent à être la seule fille parmi neuf garçons. »
Les blocages seraient essentiellement culturels, il ne s’agit en rien de capacité de logique inférieure chez les petites filles, les filles étant statistiquement plus performantes à l’école que les garçons, notamment en mathématiques.
Rappelons qu’après la seconde guerre mondiale les débuts de l’informatique avaient la forme de « grosses machines » alimentées par des cartes perforées et que ces premiers programmes ont été conçus par des femmes. Leur contribution déterminante au décryptage du code Enigma, celui même qui a permis de renverser la rapport de force en faveur des alliés, a été englouti par l’histoire.
A partir du moment où ce domaine a commencé à prendre de l’essor, à avoir un impact économique, il a intéressé les hommes, attirés par le pouvoir et l’argent. Les femmes ont été sorties, éjectées de la partie conception, recherche et business.
Concernant l’intelligence artificielle dont il faut retenir, selon Claude Térosier, surtout le mot « artificielle », il s’agit de programmes appelés des machines learning auxquelles on apprend à reconnaître des images, du son, des voix ou à écrire des textes. Ce sont bien des données que l’humain va choisir qui vont, par exemple, enseigner au programme à recréer certains textes.
« S’il y a des biais dans les données que vous donnez au programme, si, par exemple, un homme ne donne à la machine que des voix d’hommes, cette intelligence artificielle ne saura, bien sûr, traiter que celles-ci. »
Cet exemple illustre à quel point les angles de perception sont à prendre en considération, celui des hommes comme celui des femmes, car c’est ce qui permet d’avoir des solutions adaptées et pertinentes pour toutes les situations.
« Moi, résume Claude Térosier, je vois l’apprentissage du code comme un moyen d’expression. Je code pour créer quelque chose, pas comme une fin en soi. C’est un changement de posture, je deviens responsable de ce que je fais, je prends des initiatives, je vais chercher la solution, c’est une façon de prendre sa place dans la société. »