Avocate, entrepreneure, manager, ministre, Elisabeth Moreno a déconstruit un à un les schémas pré-établis pour bâtir sa propre trajectoire, guidée par la certitude de détenir seule les clés de son destin.
Rôle modèle ? Absolument.
Interview Florence Dauchez
Décembre 2021
« Je suis une enfant d’immigrés, je suis transclasse. Enfin, j’ai traversé tous les plafonds de verre que les femmes peuvent rencontrer. Et pouvoir vivre cette expérience avec elles, et mettre en place les dispositifs qui conviennent pour que plus de femmes puissent percer ou traverser ces plafonds de verre, ça a justifié ma présence dans ce gouvernement.
Je m’appelle Elisabeth Moreno, je suis Ministre déléguée auprès du Premier ministre, en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, la promotion de la diversité et de l’égalité des chances. J’ai eu la chance de commencer ma vie en tant que cheffe d’entreprise, j’ai créé ma première entreprise, j’avais vingt ans. Ensuite, j’ai basculé dans le monde des grands groupes, j’ai travaillé pour un grand groupe français, américain, chinois, et au mois de juillet 2020, j’ai eu la grande surprise et l’honneur d’être nommée au sein du gouvernement de Jean Castex. Vous savez, quand vous êtes petit, il y a une forme d’insouciance qui vous protège des difficultés de la vie. Et moi, j’étais heureuse, je vivais dans mon village avec les grands-mères qui s’occupent des enfants, on vit dehors, tout le monde se connait, tout le monde se … il y a une forme de solidarité dans la misère qui est très importante. Et donc, j’ai un doux souvenir de cette enfance au Cap-Vert, malgré la misère et la pauvreté parce qu’on vivait bien. Et, c’est un drame qui nous a fait quitter l’archipel. De ce drame, j’ai quitté ma famille, j’ai quitté mon pays et puis je suis arrivée dans ce beau pays qu’est la France, avec une peur au ventre que je vous laisse imaginer, dans un pays, dont je ne parle pas la langue où les gens ne me ressemblent pas, où il fait froid, où les portes ne restent pas ouvertes, où on ne joue pas dans la rue, et tout ça, ça m’avait … enfin pour moi, c’était un choc culturel très important. Et en même temps, C’était le pays qui allait sauver ma petite sœur. »
FD : L’école voulait vous orienter vers un CAP. Pouvez-vous nous raconter ?
Je vois le conseiller, et je lui dis j’ai envie de devenir avocate. Et, je vois le doute dans ses yeux. Et, il me dit : « mais c’est mieux pour toi un CAP. » Je n’ai rien contre les CAP. Je n’ai absolument rien contre les CAP. Mais je voulais être avocate ! Donc, je lui pose la question, je lui dis mais vous êtes sûr qu’en faisant un CAP, je pourrais devenir avocate ? Et, dans son esprit, il n’était pas possible qu’une jeune fille comme moi puisse devenir avocate. Il me dit : « mais, vous allez vous planter ». Je lui ai dit, au moins j’aurai essayé ! Non seulement je suis devenue juge, mais en plus aujourd’hui, je suis ministre. C’est parce que je savais, que je pouvais faire plus que ce qu’on me proposait, et que j’ai toujours pensé que mon destin m’appartenait.
FD : Qui étaient vos modèles ?
Je n’avais aucun rôle modèle autour de moi. Je ne connaissais, quand j’étais jeune, aucune femme noire qui soit à la télévision ou qui soit dans les livres, ou qui me montre qu’autre chose était possible pour moi en tant que jeune fille noire. Et, parce que je n’avais pas ces rôles modèles, je les ai trouvés dans les livres et je les ai trouvés à la télévision. Simone Veil, j’ai vu cette femme qui vit le nazime dans sa chair, et qui revient et qui se bat pour le droit des femmes. Lucie Aubrac, qui est une femme tellement forte, qu’elle libère son homme du joug du nazisme.
Très tardivement, j’ai découvert l’histoire d’Amilcar Cabral, qui est le père de l’indépendance de la Guinée-Bissau, et du Cap-Vert, et qui avait été éduqué qui était un agronome, qui avait fait des études, et je me disais « woah, donc on peut être noir, et faire des études, et réussir ». Vous vous rendez-compte ? Et puis, les artistes qui me faisait vibrer. C’est ça mes modèles, c’est ça mon histoire et ma vie ! Les femmes que je rencontre sont toutes talentueuses, elles ont toutes un don, elles ont toutes des capacités, elles ont toutes des compétences, elles ont des expériences, mais, certaines d’entre-elles ont tellement entendu qu’elles étaient incapables qu’elles étaient incompétentes, qu’elles étaient fragiles, qu’elles étaient précaires, qu’elles ont fini par l’intégrer. Mais, ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai. Et, ce que je voulais dire au travers de mon histoire c’est si moi j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver dès lors que vous avez un petit coup de pouce. Moi, ce petit coup de pouce, on me l’a donné et aujourd’hui, j’ai envie de le transmettre.