Violences : oser dire à un avocat 

Isabelle Steyer, Avocat

L’une des avocates les plus engagées sur le droit des femmes et des enfants

Septembre 2022, dès la rentrée, Isabelle Rome, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes relance le sujet d’une justice spécialisée. « Donner une gifle à sa femme, cela n’a rien à voir avec voler un portable. » À Paris, près de 4 plaintes pour viol ont été enregistrées par jour. Visible a donné la parole à l’une des avocates les plus engagées sur le droit des femmes et des enfants. 

Le 1er rendez-vous 

« Le premier rendez vous, il est toujours très fort parce que c’est celui qui va permettre à la victime d’adhérer ou de ne pas adhérer à l’institution, de croire en elle ou de ne pas croire en elle. Je n’étais rien, je n’ai pas été entendue, et là, j’arrive à être quelqu’un. Et quand elles arrivent souvent, elles sont épuisées. C’est extrêmement intéressant parce que ça montre quelle énergie elles ont mis dans la démarche. »

La révélation

Les femmes battues ont souvent peur de ne pas être crues. Elles soulèvent leurs chemisiers et elles montrent les coups, elles montrent les bras. Je leur propose de photographier leurs blessures. Voilà comment vous êtes. Et là, pour la première fois, elles se voient. Et c’est vrai qu’elles me disent «  Mais c’est, c’est choquant. Si je voyais quelqu’un d’autre dans cette situation là, effectivement, j’appellerai les pompiers, je ferais quelque chose. Et là, c’est moi.»

Je m’estime être une nomade du droit des femmes. Je suis une fille de commerçante et j’allais écouter les les femmes qui étaient dans le magasin, qui arrivaient pour évidemment acheter tous les beaux dessous féminins.

Et à la faveur de ces essayages, en se déshabillant, elles déshabillaient  aussi leur âme, leur histoire. Et elles expliquaient  souvent qu’elles avaient été victimes de violences conjugales, de violences économiques, de violences dans l’enfance, d’inceste. En entendant tout ça, il a été pour moi évident que je devais les défendre. Et les défendre, c’était être leur avocate.

Lever la culpabilité

« C’est qu’on pense toutes qu’on peut agir de telle ou telle façon si on est agressées sexuellement, physiquement, frappées, violées. Et finalement ça ne se passe jamais comme on s’imagine être victimes. C’est qu’elles s’imaginent qu’elles auraient dû agir de telle façon, mais ça ne colle évidemment pas avec la réalité. C’est normal de ne pas avoir compris de ne pas avoir crié, de ne pas être allée chercher de l’aide, de ne pas avoir parlé tout de suite, d’avoir même adhéré au discours, puisqu’on ne peut pas faire autrement qu’adhérer au discours de l’agresseur, autrement, il devient encore plus violent, voire il vous tue.

C’est normal de lui avoir donné ce qu’il voulait pour justement s’en sortir vivante. »

Dire, c’est revivre

« Dire, c’est inévitablement revivre et dire va souvent passer par des épisodes très très forts d’émotions. Alors, de larmes, de pleurs, de cris, de suffocation. Mais il faut que son récit, son témoignage soit précis. Donc je vais lui demander précisément de redire, finalement de se remémorer, de se remettre dans la place dans laquelle elle était lorsqu’elle a subi ces faits.

Et plus celle ci remet, meilleur son témoignage sera. »

Trop tard n’existe pas

« Les femmes se culpabilisent malgré tout d’avoir parlé trop tard, puisqu’il y a un délai de prescription au delà duquel, finalement, on ne peut plus rien faire. Mais moi, je pense qu’il ne faut pas l’envisager comme ça. Je pense qu’il faut l’envisager autrement et se dire que, quoi qu’il en soit, lorsque l’on pose là ou il faut cette parole là, qui est à mon avis l’institution judiciaire, quand on veut dévoiler, quand on veut faire en sorte qu’il ne se passe pas rien.

On a actuellement des parquets qui poursuivent, qui font en sorte qu’il y ait une confrontation dans un service de police où la victime, même s’il y a une prescription, òu la victime est accompagnée de son avocat et ù là, je la prépare comme s’il s’agissait d’un procès et où je peux me permettre de poser et de faire poser toutes les questions que j’imagine à cet homme qui est en garde à vue. Et ça, c’est une immense victoire. »

La valeur de la parole

« Ces femmes, ce sont finalement des courroies de transmission. Et être une courroie de transmission, c’est pas rien. C’est l’histoire de notre vie finalement. C’est ça les histoires des femmes. Ce sont des courroies de transmission de savoir. Et on arrive finalement souvent à des dernières victimes. On en a une pour lesquelles les faits ne sont pas prescrits et quatorze autres pour lesquelles les faits sont prescrits, mais qui vont venir s’exprimer sur, ça fait 30 ans que ça dure. On sait qui est qui dans la ville. On sait à peu près qui fait quoi, mais tout le monde se tait. Et pourquoi ce système là a été mis en place ? Comment il a été mis en place ? Comment il a fonctionné ? Avec quelles complicités il a fonctionné et comment maintenant, on peut le faire voler en éclats.

C’est ça qui est intéressant, c’est on ne dénonce pas une infraction, on dénonce un système de pensée et un système de domination. »

Interview par Florence Dauchez
Publié le 13/09/2022

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