« Je m’appelle Sibylle Blumenfeld et je suis directrice financière de petites structures en croissance. Il m’est arrivé quelque chose de particulier, j’ai eu, d’une part un coup de foudre pour mon mari Samuel en 1994, mais ce qui est plus rare, pour ma belle-mère Anna Waisman. J’ai 25 ans quand je la rencontre. Je l’ai connue très peu de temps, six mois, mais ces rencontres ont été très intenses. Elle m’a fait visiter son atelier et quand j’ai vu son univers avec des sculptures de lettres hébraïques, des déchirures de papier, des collages de microprocesseurs, j’ai eu un coup de foudre artistique.
Anna Waisman est une enfant de la guerre. Elle est née à Strasbourg, ville qui a été annexée par les Allemands dès 1940, et elle a dû fuir avec sa famille à Périgueux. Elle a vécu la guerre comme toute enfant juive, dans des conditions très difficiles, elle était une jeune fille, donc parfaitement consciente de ce qui se passait. Malgré tout, elle a dansé toujours puisque c’était sa passion et dès la Libération, elle devient danseuse professionnelle de l’Opéra de Strasbourg. Elle est totalement autodidacte puisqu’elle n’a même pas seize ans quand elle commence sa carrière de danseuse. Elle prépare le concours pour être danseuse étoile de l’Opéra de Paris, elle doit passer une audition avec Serge Lifar mais elle se fait un claquage musculaire tant elle a poussé ses limites. Elle comprend que c’est un signe du destin, qu’il faut qu’elle change de vie et qu’elle démarre sa deuxième vie. Et comme c’est une artiste jusqu’au bout des ongles, elle démarre la sculpture, de manière autodidacte aussi, puisqu’elle n’a jamais pris de cours. Elle démarre de la façon la plus simple du monde, sur des chantiers, dans la rue, au milieu des ouvriers qui cassent des bâtiments avec les pierres qu’elle sculpte avec des marteaux et des burins offerts par les ouvriers des chantiers, sur le tas.
Anna Waisman, en près de 35 ans nous a laissé près de 1000 œuvres. Peintures, sculptures, dessins, déchirures, c’est-à-dire des papiers blancs déchirés où rien n’est enlevé, rien n’est rajouté et elle fait des formes, des enveloppes avec des courriers mystérieux, des écritures, des collages de microprocesseurs, d’éléments d’ordinateurs, de fils électriques. C’est ce travail remarquable et tellement original qui attire toute la presse, donc, elle fait la une des plus grands journaux de Libération, du Figaro. C’est une femme qui a démarré de manière extrêmement lumineuse et elle a été très célèbre, mais, curieusement, elle ne s’inscrit pas dans une recherche de célébrité comme on voit aujourd’hui. Suite à ce démarrage en fanfare, elle poursuit son travail et elle devient invisible.
De manière un peu magique, il y a des correspondances entre nos vies. J’ai fait une chute. J’ai dû m’interrompre pendant plusieurs mois pour me remettre de cette chute et j’ai utilisé ce temps pour me replonger dans l’œuvre d’Anna. Moi aussi, en quelque sorte, je me suis réorientée, je me suis un peu convertie en son agent. Depuis mon lit d’hôpital, j’ai fait un site internet, un compte Instagram et j’ai concocté avec le maire de Sarcelles une très belle cérémonie pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, qui a eu lieu le 18 juillet dernier. Nous avons commémoré à nouveau la sculpture d’Anna Waisman, elle avait réalisé ce mémorial à Sarcelles il y a 40 ans.
Aujourd’hui, il y a tout un courant qui s’intéresse aux femmes artistes, il n’y a jamais eu autant d’expositions, au Luxembourg, à Beaubourg, sur les femmes artistes. On se rend compte que les médias n’ont pas donné suffisamment de place à ces femmes artistes alors qu’elles peuvent avoir un travail d’une qualité remarquable. Aujourd’hui, je pense que c’est peut être son moment. C’est ça qui m’anime parce que je sens que quelque chose peut se passer, il faut faire passer ce message aux générations qui viennent, aux femmes particulièrement, pour qu’elles osent être libres, sortir des sentiers battus, laisser parler leur propre voix. C’est pour ça que je pense que qu’il faut faire connaître Anna Waisman au plus grand nombre.»