Interview par Raphaelle Duchemin
17 Novembre 2022
Trop peu de femmes ingénieurs, trop peu de femmes dans la tech, comment renverser cet état de fait ? Nathalie Birocheau, directrice générale d’Ircam Amplify, la filiale de commercialisation du laboratoire d’excellence français, explique ce qui a fonctionné pour elle : une stimulation familiale pour les maths et les sciences, une nature solide pour répondre aux remarques ou attitudes dissuasives des garçons.
« Filles/garcons, il faut aussi leur mettre ça dans le cerveau dès le départ, cette conviction-là que ce sont les mêmes cerveaux »
RD:- Avez-vous en tête un souvenir qui vous a construite?
NB: -Quand on entend parler de la science et des maths et des phénomènes physiques qui alimentent notre quotidien, dès qu’on est tout petit, voilà, ça forge, quand même! Je me rappelle quand on partait en vacances dans la voiture, mon père qui nous faisait faire des petits exercices de maths. « Alors les filles, nous avons roulé 120 kilomètres, il nous reste 100 kilomètres à faire. Il me reste 35 litres d’essence dans le réservoir, le prix de l’essence est tant … etc. Combien encore vais-je pouvoir rouler avec ce qui me reste dans le réservoir ? »
RD:- dites-nous honnêtement, ça n’a pas dû être facile chaque jour en prépa ou en école d’ingé?
NB: – Quand on débarque à Supélec, honnêtement, il y a très peu de filles. Il faut avoir le caractère qui permet d’absorber ça aussi. Donc, peut-être, on se projette moins, c’est moins en zone de confort et donc c’est un cercle vicieux, ça alimente le schéma: moins on en met dans ces formations-là, moins il y en aura, et moins il y en aura, moins de filles voudront se projeter dans ces écosystèmes-là.
C’est sûr que quand on arrive dans cet environnement-là, extrêmement masculin, et qu’on est juste une fille normale qui aime la physique, ça fait un petit choc. Voilà, moi, je n’ai jamais été perturbée par ça. On va dire que je suis très à l’aise avec le monde masculin et je réponds quand on m’embête et voilà, je n’ai jamais eu peur. Ça m’a plus marquée aussi après dans le monde du travail, quand on arrive et que certains environnements sont assez masculins, notamment dans les échelons hiérarchiques élevés. J’ai souvent, moi j’assume totalement, j’ai souvent eu peur de ne pas être à la hauteur. On arrive devant un projet très compliqué ou à l’école, devant un cours d’informatique hyper compliqué à appréhender, finalement, quand on se met dans un sujet, quand vraiment on investit, et qu’on pose des questions et qu’on se fait aider, c’est rare de ne pas passer l’étape suivante et de ne pas y arriver.
RD:- Votre propre expérience vous a t-elle donné des clés pour déverrouiller l’audace d’aller vers les matières scientifiques?
NB:- J’ai des enfants petits, donc quand ma fille qui est en CE1 revient et m’explique les maths et qu’on lui donne ce goût-là, moi je lui dis beaucoup « il faut, vas-y, travaille tes maths, c’est important, les garçons ne sont pas plus forts, vas-y, lève la main. » Il faut aussi leur mettre ça dans le cerveau dès le départ, cette conviction-là que c’est les mêmes cerveaux, il faut juste s’y intéresser. Je pense que petit à petit, étant donné que c’était assez masculin, il y a dû avoir une certaine frayeur de la part des filles, des petites filles, d’aller dans ces mondes-là.
RD:- Une action particulière que vous menez pour inverser cette tendance bien installée?
NB:- ça va se faire petit à petit. J’ai une vision d’égalité hommes-femmes, et je la recherche dans tous les pans de ma vie. Voilà, ça s’éduque aussi, donc il faut juste passer des petits messages de manière tout à fait normale pas dans la revendication. C’est juste normal en fait. Aujourd’hui, j’essaie de recruter un maximum de filles dans l’équipe d’Ircam Amplify sur les métiers techniques mais c’est tellement difficile ! C’est tellement difficile, on ne reçoit quasiment pas de CV, c’est vraiment … C’est un défi, c’est un défi !