« Il n’est pas question que ce soit une affaire des femmes pour les femmes, il faut que ce soit l’affaire de tout le monde, à commencer par les hommes, pour les femmes. »
Jean-Marc Gallot est PDG de la maison Veuve Clicquot depuis 7 ans. Il a fait sa carrière dans l’univers du luxe. À 57 ans Jean-Marc Gallot s’implique un peu plus chaque année dans la construction d’un monde plus égalitaire. Depuis 3 ans, il a donné un coup d’accélérateur au Bold Award Challenge qu’il entend promouvoir du Nigeria à la Corée, de l’Italie à la France.
Rencontre d’un défenseur des femmes qui perpétue en interne et à l’extérieur les valeurs de « Madame Veuve ».
Interview menée par Raphaëlle Duchemin
Publié le 18 novembre 2021
« Je m’appelle Jean-Marc Gallot et j’ai le plaisir de diriger depuis un petit peu plus de 7 ans cette magnifique et inspirante maison qu’est Veuve Clicquot.
Au début du XIXᵉ siècle, quand Madame Clicquot perd son mari très jeune, à 27 ans, tout le monde autour d’elle essaie de la dissuader de reprendre l’entreprise, sachant qu’à l’époque une femme n’avait pas le droit de diriger une entreprise, sauf si c’était une entreprise familiale et qu’elle était veuve. Et elle a cette intuition et cette détermination de se dire, je vais reprendre la maison.
Cette femme serait parmi nous aujourd’hui, qu’elle serait la première à nous challenger pour aller encore plus de l’avant. On dit souvent que dans le monde de l’entreprise : « celui qui n’avance pas recule ». Je pense que c’était son « moto » absolu, avec un mélange à la fois de détermination et sûrement une certaine sévérité puisqu’elle portait sur ses épaules le poids d’une entreprise. Elle avait même une responsabilité sociale puisqu’elle a créé l’une des premières maisons de retraite pour les salariés de la maison Clicquot.
Je pense qu’elle serait choquée, 215 ans plus tard, de se rendre compte que ça a si peu avancé.
Oui, il y a des très belles réussites de femmes entrepreneures, mais le baromètre Veuve Clicquot* nous montre qu’en terme de barrières sociales, de barrières sociétales, que ce soit 15 % seulement des fonds pour des créations d’entreprises dans la Tech, que ce soit aussi que 2 % des dossiers qui soient évalués pour des femmes, ce sont des chiffres qui sont absolument affolants aujourd’hui. Donc je pense qu’elle serait en révolte.
Commençons déjà par mettre en avant des femmes entrepreneures en France. Un chiffre : 93 % des femmes en France qui voudraient entreprendre souhaitent avoir des rôles modèles pour s’inspirer, et seulement 14 % d’entre elles peuvent citer une femme entrepreneure, ce qui est absolument effrayant.
Le féminisme… il faut peut-être s’en méfier quand ça n’est qu’une affaire de femmes. Mais quand ça devient l’affaire de tout le monde, ce n’est plus du féminisme.
C’est juste entreprendre dans un sens où tout le monde a la même chance de réussir. J’aimerais qu’on n’ait pas à compter le nombre de femmes dans les comités de direction. J’aimerais qu’on n’ait pas à avoir tous ces indices, mais tant qu’on ne sera pas là, je suis pour les indices. Je suis aussi pour les quotas dans les écoles d’ingénieurs. Or, le monde de demain, du coding, est décidé par ces ingénieurs et on est en train d’écrire un monde qui risque d’être encore plus masculin. Donc, il faut peut-être, pour un certain nombre d’éléments, forcer le trait. S’il faut avoir des quotas et que les entreprises soient à la fois plus exposées mais aussi plus en interaction avec les pouvoirs publics, faisons-le !
Visible, en fait ça serait le rêve que l’on n’ait pas de commentaire à faire sur le fait que la personne qui est en face de soi soit un homme ou une femme. Le jour où nous ne serons plus à la description du genre, ça sera gagné ! Mais j’ai peur, pour en revenir aux 220 ans de Madame Clicquot si elle était encore parmi nous aujourd’hui, que la route soit encore avec quelques écueils devant nous. Mais allons-y ! »