Le droit triomphe du racisme

Sarah El Haïry, Secrétaire d'État auprès du ministre des Armées et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse

Elles s’engagent, elles sont jeunes, Visible donne la parole aux nouvelles élues de la République pour saisir l’origine de leur engagement et d’où provient leur confiance personnelle nécessaire à la vie politique et publique.

Sarah El Haïry est secrétaire d’État députée de Loire-Atlantique et maire de Nantes.

 

EG : Quel souvenir vous a le plus marqué en tant qu’élue ?

SEH : Je n’oublierais jamais le premier juillet, la première fois que j’ai le droit de porter une écharpe ; c’est l’écharpe de députée donc on met le rouge en haut, puis le blanc, puis le bleu, et on arrive au 14 juillet et je suis très émue parce que ça veut dire beaucoup. Je me rends compte que dans la marche protocolaire qui va aller jusqu’à cette cérémonie-là, on n’était que des femmes ! Et il se trouve que j’ai gardé cette petite photo pour moi, pour me dire : “ ce n’est pas impossible, jamais, alors même que je l’aurais peut-être très difficilement imaginé. “

EG : À quel moment s’est révélé votre engagement politique ? Par exemple avez-vous été déléguée de classe plus jeune ?

SEH : Oui, oui, j’ai été déléguée de classe en CM2, j’ai été déléguée de classe au collège, j’ai été déléguée de classe après dans ma prépa. Et j’ai eu après un engagement syndical au sein de l’université et puis aussi dans mon entreprise.

Le plus important, c’est quand tu crois en quelque chose, et bien, il faut participer à sa transformation. Tu ne peux pas être sur ton canapé et râler, ça n’a jamais rien fait avancer. Par contre, quand tu es un bénévole, un engagé, un responsable syndical, un élu, même un citoyen qui participe au débat démocratique de sa commune, aux réunions publiques des maires ou parents d’élèves dans une association de l’école, tu prends un peu ton destin en main, mais surtout aussi le destin de ceux que tu aimes. Et en général, on s’engage pour nous, pour ses enfants, pour ses parents ou, quand on est touché dans sa famille par quelque chose qui devient peut-être plus clair et qui parfois nous révolte ou simplement parce qu’on trouve ça pas juste. Et c’est là où il ne faut pas opposer les engagements. Il faut que chacun trouve le sien, le plus important, c’est ça !

EG : Avez-vous grandi dans un environnement politique ?

SEH : Moi, je n’ai pas une famille qui est politique au sens parti politique. Par contre, j’ai la chance d’avoir des femmes fortes. J’ai grandi dans une famille qui était dirigée par des femmes. Ma grand-mère d’abord, qui a élevé cinq enfants, quatre garçons et ma mère, mais qui était cette dame de force, qui a surmonté des difficultés. Mes parents sont nés au Maroc, ils ont grandi au Maroc, j’ai moi-même grandi une partie de ma vie au Maroc et j’ai vu comment cette femme, ma grand-mère, dans un pays qui est plutôt patriarcal de culture, a pris le dessus.

Et puis à côté de ça, j’avais un autre modèle qui était celui de ma mère. On dit souvent qu’on grandit entouré et on ressemble à ceux qui nous entourent, et bien ma mère, un peu pareil : ma mère divorce, elle a 23 ans, deux enfants, moi et mon petit frère, mais parce que c’est sa conviction, alors même que la culture, le monde à ce moment-là, n’était pas très bienveillant quand tu faisais le choix de divorcer aussi jeune et d’élever tes enfants parce que c’était ton choix.

J’ai grandi avec des femmes comme ça. Et quand tu as ces rôles modèles, c’est les miens, c’est celles qui sont mes exemples, tu as l’envie d’être à la hauteur.

EG : Liberté, égalité, fraternité, vous y croyez ?  

 SEH : Pendant la campagne législative, il y avait des propos racistes sur mes affiches. Mais ce n’est pas parce qu’il y en a qu’on baisse les bras. Et ce n’est pas parce qu’il y en a qu’il faut se cacher, ne pas participer. Au contraire ! Moi, ça dédouble mon énergie. Ça la dédouble, ça me donne encore plus envie de ne pas me laisser faire, ça ne me fait pas peur.

Et puis, il faut utiliser la loi. À chaque fois qu’il y a eu des situations, je suis partie déposer plainte. Parce que la loi est de notre côté. Et c’est pour ça que moi je crois à un pays fort. Et c’est pour ça que moi, je lutte contre les discriminations par le droit, par la force de la cohésion sociale, par la force un peu de cet esprit français, de ce génie français. En France, on est condamné à rien. Moi, je crois au mérite. Je crois à l’effort. Je crois au fait qu’on ne soit pas condamné en fonction de son quartier, de sa couleur de peau, du capital social de sa famille, du métier de ses parents, de la nationalité de ses parents, je ne crois pas à ça ! Je ne veux pas considérer que notre pays condamne à ça. Et donc il y a un mot qui me touche, qui s’appelle l’émancipation, la capacité à casser les plafonds de verre, à lutter contre les déterminismes sociaux. Ça veut dire que si tu es enfant d’immigrés, enfant d’ouvriers, et bien tu es condamné à faire telle vie, telle vie où tu as moins de choix. Est-ce que tu as moins de chance parfois ? Bien sûr ! Et c’est le rôle de la République par l’égalité des chances, de te donner les moyens d’y arriver !

Interview Elitsa Gadeva

19 décembre 2022

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