LE FEMININ EN POUPE 

Alexia Barrier, navigatrice

Interview réalisée par Raphaëlle Duchemin
4 Novembre 2022

Elle vient de remporter la rolex middle sea race à bord du MOD 70 Mana qui va lui servir de bateau d’entrainement pour les 2 ans qui viennent.  Alexia Barrier s’attaquera ensuite au Trophée Jules Verne mais avec un équipage 100 % féminin. La navigatrice a baptisé sa nouvelle aventure « the famous project » car avec ses coéquipières elles comptent bien marquer durablement et à plus d‘un titre l’histoire de la voile.

Rencontre sur les quais de Saint-Tropez. 

RD: Alexia, tu as monté “the famous project”, en quelques mots, qu’est ce que c’est ?

C’est l’épopée maritime du siècle. On va s’attaquer au record du Trophée Jules-Verne.

RD : À quel moment t’es-tu dis « je vais devenir navigatrice et relever ce genre de défis » ?

Je pense que j’ai eu cette idée vers l’âge de douze ans ou je voyais à la télé des marins absolument extraordinaires. À la même époque, je rêvais aussi de Vendée Globe. Donc ça commence à dater un peu.

Mais c’est le fait d’avoir navigué jeune avec mes parents, je pense, qui m’a donné cet amour pour la mer, cette envie d’aventure. Quand j’avais douze ans, je voulais être championne de handball et je l’ai dit à mes parents et m’ont dit que je n’y arriverai jamais.

Et quand j’ai eu cette idée, ce rêve, en voyant à la télé le Vendée Globe, -j’en ai encore des frissons- je savais que j’allais faire ça. Je me suis dit par contre, cette fois-ci je ne vais le raconter à personne parce que on a toujours tendance à devoir après affronter des non ou les peurs des gens qu’ils vous renvoient au visage.

Donc j’ai gardé ce rêve ancré au fond de moi. J’ai travaillé dur et finalement j’y suis arrivée. Aujourd’hui, le Vendée Globe, c’est fait. Donc je m’attaque au rêve numéro deux, le Trophée Jules-Verne.

RD: Quelle est la différence pour toi entre le Vendée Globe et le Trophée Jules Verne?

En tant que compétitrice, le Vendée Globe, c’était peut-être le challenge le plus abordable parce que c’est en monocoque. Le Trophée Jules-Verne, on court en multicoque, c’est un sport dont j’ai moins l’habitude. Donc c’est super intéressant cette nouvelle phase. On a énormément de choses à apprendre. Ça fait 25 ans qu’il n’y a pas eu de femmes sur le Trophée Jules-Verne. Il n’y a aucune femme qui navigue à haut niveau en course Offshore, course au large en multicoque. C’est un peu comme si on allait marcher sur la Lune avec mon équipe internationale.

 RD: Quelle est l’ambition de ton équipe 100% féminine ?

On va faire bouger les lignes et on va vraiment, je pense, inspirer de nouvelles générations de navigatrices avec ce projet. Il y a 60 personnes qui ont terminé le Vendée Globe depuis sa création depuis 30 ans, dont dix femmes. Il y a à peu près 40 personnes qui ont terminé le Trophée Jules-Verne. Une femme peut être, je n’en suis même pas sûre.

Donc en fait, le haut de la pyramide va s’élargir. Et ça veut dire qu’il faut faire naviguer plus de filles à haut niveau sur tous les supports, donc sur tous les différents bateaux accessibles pour qu’on puisse atteindre le haut niveau et pouvoir naviguer en multicoques. Aujourd’hui, je pense que les équipages des Ultimes ne pensent pas à inviter les femmes à leur bord. C’est juste une question d’habitude. On va justement grâce à ce projet, faire changer les habitudes.

RD: Qui sont les visages que tu as réuni pour cette aventure ?

L’équipage est donc un équipage international composé de dix femmes.

Pour l’instant, je dois encore en recruter deux de plus, des remplaçantes.

Tu ne les connais peut-être pas, mais dans mon univers, ce sont un peu les Beyoncé, Rihanna de la voile.  Il y a Dee Caffari, Elodie Mettraux, Marie Riou, Marie Tabarly… Suédoise, américaine, anglaise, française. On va intégrer une Japonaise et une Indienne dans l’équipe. A nous toutes, on a douze tours du monde, 50 courses transatlantiques, 23 courses transpacifiques, 29 titres de championnes du monde. Je pense qu’aucun équipage, fille ou garçon, n’a autant de victoires et de titres à son actif.

RD : Comment avez-vous convaincu les sponsors de participer à cette épopée maritime ?

On y associe des projets scientifiques et pédagogiques. Et ça plaît énormément aux grands groupes et aux sociétés qui ont des valeurs communes. On a des problématiques dans les sociétés aujourd’hui de recrutement, d’effectifs féminins. Donc peut être que ça va augmenter l’attractivité pour les sociétés qui nous suivent. De ce côté-là, évidemment, on parle de « sustainability », l’idée de changement climatique, et ce sont des sujets cruciaux aussi pour les grands groupes et les sociétés.

Donc on a déjà un premier partenaire qui va être annoncé le 6 novembre à l’occasion du départ de la Route du Rhum, bientôt peut être un deuxième. Je pense qu’on ne va pas avoir trop de mal à trouver des partenaires pour ce projet. Déjà, le nom du projet « The Famous Project » suscite la curiosité. Ce qu’on veut, c’est évidemment être dans l’excellence sportive, mais surtout entraîner dans notre sillage un maximum de jeunes femmes, de femmes, leur donner envie d’oser. On va utiliser la lumière qui sera sur nous, notre notoriété pour la tourner vers des femmes inconnues à travers le monde, qui ont des projets fantastiques et qu’on va aussi mettre dans la lumière. Donc on est vraiment dans la coopération, dans le partage. C’est un projet très différenciant par rapport aux projets habituels.

RD: Te souviens-tu de ta première sortie en mer ?

Non, mais je me souviens exactement de la sensation de ne pas vouloir lâcher la barre quand on sortait en famille. Et quand j’étais petite, j’étais obligée de mettre un torchon dans ma main tellement je m’étais fait des ampoules à tenir la barre et j’y étais cramponnée toute la journée. Je ne voulais pas la lâcher. Et même avec les ampoules, je cherchais des solutions, des stratagèmes pour ne pas la lâcher.

Le jour où je serai blasée de ce panorama, je pense que je changerais de métier. Mais je pense que, objectivement, je ne m’en lasserai jamais. Donc quand je serai trop vieille un jour pour faire de la course, mais pas tout de suite. Reste encore quelques années devant moi. Je trouverai un stratagème pour être encore sur l’eau.

RD: Quel message tu aimerais partager avec les jeunes générations ?

Je suis peut-être donneuse de conseils, les filles, mais ce que je peux vous dire, c’est que moi, je ne suis pas issue d’une grande famille de marins. Je suis en Méditerranée là où personne ne navigue. Mes parents ne sont pas très riches, alors j’ai eu un rêve tôt. Ça, c’est une chance et du coup, j’ai eu un cap et j’ai beaucoup travaillé pour suivre ce cap et atteindre mes objectifs.

Mais ne vous fixez pas de limite. Ne vous mettez pas de barrières, ne soyez pas timides, c’est une perte de temps. Osez ! Parce que finalement, vous verrez qu’en marchant un mètre par un mètre vers votre objectif ou en faisant des kilomètres vous arriverez à atteindre votre rêve.

RD: Qui sont les femmes qui t’ont inspiré lorsque tu étais plus jeune ?

On a eu des rôles modèles en tant que navigatrices Florence Arthaud, Ellen MacArthur, mais ça fait longtemps. Maintenant, ça fait plus de 20 ans. Avec les filles du projet on sait qu’on peut l’être. Être des rôles modèles pour les futures générations, ça nous tient vraiment à cœur. Ce challenge pour nous est tout aussi important, si ce n’est plus, que le record et le challenge sportif.

RD: Qui détient le record actuellement ?  Et quand commencez-vous à vous y mesurer ?

C’est Francis Joyon et son équipage qui détiennent ce record. Deux fois plus vite que ce qu’avait annoncé Jules Verne ! On démarre les entraînements en début d’année 2023. On a déjà fait une première séquence ici (Saint-Tropez) avec Marie Tabarly.

On est en train d’acquérir un autre bateau d’entraînement qui nous servira pendant deux ans. Moi, je fais une course en octobre. Donc suivez nous sur les réseaux sociaux. Parce qu’il va y avoir des images absolument dingues et sans effet. Et notre premier transatlantique en course, ce sera en janvier.

RD:  Êtes-vous soutenues dans cette aventure ? Y a-t-il des personnes qui te viennent en aide pour gérer ce challenge ?

Je suis aussi très heureuse et fière de faire partie de la première sélection de Women Palatine Project, un projet qui vise à aider les femmes athlètes entrepreneures à performer en tant que business dans le business, en tant qu’entrepreneur aussi bien que dans nos sports et en fin de carrière plus ou moins longue. On n’a pas vraiment eu le temps d’aller à l’école et d’apprendre tous les codes et toutes les manières de monter des business plans, structurer une équipe.

Donc, grâce à ce projet Women Palatine Project, on a un service sur mesure, énormément de compétences, du mécénat de compétences, des mentors qui sont là pour nous accompagner pendant neuf mois, un an et même plus, parce qu’ils vont nous suivre tout au fil de notre évolution. Et ça booste vraiment nos carrières de femmes entrepreneurs.

RD: Tu parlais de partager votre aventure, comment-est ce que vous allez vous y prendre ?

On a un programme éducatif qui est retranscrit à travers un film de réalité virtuelle parce que j’aime utiliser aussi les nouvelles technologies. On va être dans le monde de la metaverse avec le projet. L’idée, c’est de présenter l’océan aux enfants, de toucher plus de 2 millions d’enfants.

Cette année et encore plus l’année prochaine grâce à neuf épisodes. Donc un film en réalité virtuelle en participant avec aussi l’Union nationale du sport scolaire, l’Education nationale et peut être l’Unicef qui va rentrer dans le projet. Donc c’est vraiment un très gros projet éducatif pour inspirer les jeunes générations. C’est ça aussi un boulot à plein temps, on va dire.

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