Lever 8 millions de dollars

Nelly Chatue Diop, co-fondatrice et CEO de l'application Ejara

« Il se trouve que je suis en plus la start-up en Afrique francophone qui a le plus levé. Et je suis une femme et je suis dans la tech, donc ça dérange beaucoup »

Nelly Chatue Diop est de formation ingénieure en informatique et diplômée de HEC Paris – London Business school en business, finance et stratégie. Elle est la cofondatrice et CEO de Ejara.

SRA: Comment est venue l’idée de créer une application pour investir en bourse ?

« En 1994, les 14 pays de la zone CFA connaissent ce qu’on appelle la dévaluation. Donc la monnaie est divisée par deux, le pouvoir d’achat est réduit en miettes. Je vois mes parents, ma famille, être fortement impactés, puisque mon père reste des mois sans salaire. Je sens une détresse, je sens un trauma collectif et je me pose la question, de savoir quelles alternatives ils auraient pu avoir, comment ils auraient pu peut-être investir différemment, diversifier leur épargne, comment ils auraient pu s’en prémunir. En 2015, quand je rencontre la blockchain et le monde des cryptos, l’informaticienne que je suis est juste émerveillée par cette technologie naissante, innovante, qui parle d’un monde décentralisé, finalement plus inclusif. En fait, l’idée, c’était vraiment de concevoir cette application mobile, de pouvoir mettre à disposition de toutes les classes, surtout les classes populaires, qui à partir d’1€50 ont accès à ce marché financier. Finalement les élites quand il s’agit d’avoir accès aux marchés financiers, ils y arrivent toujours. Et là, aujourd’hui, j’ai des vendeuses de tomates, de fruits et légumes, j’ai des conducteurs de moto-taxi. »

SRA: Tu as levé 8 millions de dollars en 2022, qu’est ce que ça a changé pour vous ?

« Avant et après cette levée, je vois comme un changement avec les entrepreneurs masculins qui m’entourent, parce que tout d’un coup, c’est comme si j’entrais dans leur cour, c’est comme si je dérangeais, parce que tant que je n’avais pas levé, me fréquenter était acceptable, on pouvait me donner des conseils, « -Mais tu sais, si tu veux lever un jour, il faut faire ça, mais ton produit, il est nul, tu devrais plutôt faire ça, la façon dont tu as d’approcher, il n’y a pas de marché pour ce que tu défends. » Tout le monde y va de son mansplaining, tout le monde y va de son explication, tout le monde connaît mieux le business que tu veux construire que toi. On me parle un peu moins, et quand je lève 8 millions, c’est la catastrophe. J’ai des gens qui ont totalement disparu du radar. Moi, en tant que femme, j’ai envie aussi d’avoir d’autres femmes, j’en trouve aucune. Et même les hommes qu’il peut y avoir autour de moi, souvent, ils sont entre eux jusque très tard le soir. Et je pense qu’au fur et à mesure que l’équipe grandit, que je recrute, je trouve finalement ce système de support, que je cherchais en dehors. Mais il n’empêche que cette volonté d’avoir un rôle modèle, une femme qui a déjà fait ce que je suis en train de faire et ce que j’ai envie de réaliser avec cette entreprise est important. C’est d’ailleurs pour ça, je pense que j’ai aussi postulé au prix Margaret. Pour pouvoir, justement, être dans cette famille d’entrepreneurs, entrepreneuses qui osent et qui changent le monde. »

Interview Sarah-Rose Antoun
13 septembre 2023

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