Pour plus de femmes dans la gouvernance du monde.

Loïc Finaz, amiral.

Pour plus de femmes dans la gouvernance du monde.

Il a dirigé l’école de guerre, commandé de nombreux bâtiments de la Marine Nationale, ce qui fait de Loic Finaz un fin connaisseur de la gestion des conflits. Aujourd’hui le Vice-Amiral met son expérience au service de l’entreprise tout en
conservant un regard sur la situation internationale. Selon lui, la marche du monde serait différente s’il y avait plus de femmes au pouvoir. Il s’est confié à Visible.

Interview par Raphaëlle Duchemin
Publié le 29 mars 2022

Il n’est pas du genre à garder pour lui ce qu’il pense : Loic Finaz a le parler franc et qu’importe s’il ne se fait pas que des amis. L’amiral a fait ses classes dans les sous-marins et appris l’art de la dissimulation. Mais quand il y a gros temps -comme actuellement sur la planète- ça ne le dérange pas de faire des vagues pour asséner quelques vérités. « Je pense sincèrement qu’aujourd’hui, l’un des problèmes majeurs de notre époque, c’est qu’il n’y a pas assez de femmes dans les gouvernances.» C’est dit. Et l’amiral d’argumenter : « J’ai tendance à penser que la politique internationale serait différente et meilleure avec plus de femmes aux commandes en tout cas je suis sûr qu’elle en serait pas pire.» Et en matière de commandement il en connait un rayon : J’ai commandé un petit bateau quand j’avais 25 ans, un bateau de taille moyenne à 35 ans et un gros bateau à 45 ans. »
Ce qu’il a constaté à bord est sans appel : « Sur mes deux premiers bateaux, il n’y avait pas encore de femmes dans nos équipages. Puis, quand j’ai commandé mon dernier bateau, elles étaient là.

Donc j’ai pu juger la différence entre un équipage d’hommes et de femmes. Et bien c’était encore mieux, encore plus performant, encore plus efficace parce que plus équilibré, plus complet, plus riche. » Pour Loic Finaz ce qui se vérifie sur un bâtiment de combat est transposable dans à peu près toutes les situations car selon lui le simple fait d’être une femme change la donne. Il s’explique : « Quand vous êtes par construction de votre humanité, capable de donner la vie, vous réfléchissez un peu plus loin que simplement votre seule temporalité. Vous pensez à celle de vos enfants ou de vos petits-enfants. En tout cas, plus vite et plus naturellement qu’un homme. Je ne dis pas qu’un homme n’est pas capable de penser ça. Au secours, ça serait terrible, mais je pense que c’est plus naturel encore. Et je pense que la notion de service, c’est quelque chose qui est encore plus naturel chez les femmes. » Ce sont donc ces dispositions qui permettraient aux femmes d’appréhender le monde sous un autre angle. A l’heure où les conflits sont exacerbés, où les problématiques climatiques menacent la planète elles auraient donc d’autres clefs de lecture.

Et Loic Finaz de poursuivre : « Ça donnerait certainement des dirigeants plus intelligents, plus capables de bâtir un monde où on échange, où on se parle plutôt que de commencer par se battre et de parler ensuite. Des dirigeants qui normalement seront moins enclins à déclencher des guerres sans raisons fortes et valables. Attention, je n’ai pas dit qu’une femme n’avait pas la capacité lorsqu’elle en avait la responsabilité à décider de déclencher une guerre pour son pays. Je dis juste que je pense que le jour elle le fera, elle y aura réfléchi plus encore qu’un homme et sans être polluée par son ego. Et fatalement, consciemment ou non, dans une relation à ce qui fait sa caractéristique de femme par rapport aux hommes, c’est à dire celle de pouvoir donner la vie » Alors pourquoi n’y a-t-il pas davantage de femmes sur l’échiquier politique ? Pourquoi celles qui ont tenu les rênes d’un Etat ou d’un gouvernement font aujourd’hui encore figure d’exception ?

Là encore Loic Finaz avance une explication sans prendre de gants : « Les règles du jeu de la vie politique sont totalement débiles.  C’est une course en sac effrénée où la plupart des acteurs sont mus par leurs déséquilibres. C’est terrible ce que je suis en train de dire ! Et donc les femmes je pense, sont plutôt plus équilibrées, et gèrent leur ego infiniment mieux que les hommes du coup. Les filles disent : mais moi ça ne m’intéresse pas, je ne joue pas ce jeu-là. Et donc tant qu’on n’aura pas changé les règles du jeu, je ne dis pas que c’est possible, elles diront mais ça ne m’intéresse pas.» CQFD….

Et pour ceux qui n’auraient toujours pas compris le message, Loic Finaz enfonce le clou : « il y a déjà un certain nombre de secteurs de la société, un certain nombre de responsabilités dont les femmes n’ont fondamentalement pas envie, mais juste parce qu’elles sont moins couillonnes que les mecs, c’est tout. Ce serait donc un choix pour ne pas entrer dans le système. « Ce n’est pas une affaire de capacité parce qu’il y en a malgré tout quand même eu suffisamment dans l’histoire pour prouver qu’on avait des grands dirigeants, qu’on les aime ou qu’on les aime pas. Golda Meir, Thatcher ont été des grands dirigeants. Qu’en France, on n’ait pas eu depuis un certain nombre d’années déjà la possibilité réelle qu’une femme devienne
Présidente de la République.

C’est une vraie question. Mais là encore, regardons les réalités quotidiennes de la vie politique. Moi je comprends très bien que beaucoup de femmes disent : je ne fais pas ce jeu-là. » Et pourtant leur contribution est nécessaire si on veut construire une société qui soit le reflet de ce que nous vivons. Mais selon Loic Finaz on demande encore trop souvent aux femmes d’entrer dans un costume qui n’est pas le leur. Or il faut justement qu’elles refusent de jouer un rôle : « Si c’est pour les changer, pour en faire des clones des mecs et qu’on récupère en filles des gens pas plus intéressants,
mais ça n’a aucun intérêt. Il faut changer les règles en se disant qu’est-ce qu’on peut faire pour qu’elles aient envie véritablement d’exercer ces responsabilités et qu’elles considèrent que ce n’est pas au prix de trop de renoncements, de compromissions et de choses idiotes qu’elles ont raison de refuser. » Pour Loic Finaz le problème remonte à l’antiquité. Et malheureusement les choses
n’ont pas évolué ou pas assez. « C’est toujours l’ordre mélien qui régit le monde aujourd’hui. Et cet ordre considère qu’il n’y a pas de justice entre puissances inégales et que donc c’est le plus fort qui l’emporte. Est-ce que cela veut dire que les femmes n’ont jamais eu de pouvoir dans l’humanité depuis l’aube de l’humanité ? Bien sûr que non. Mais dans le champ politique, dans le champ guerrier, oui ça reste une affaire de mecs. »

L’amiral est convaincu que ce principe-là, qui continue de guider les puissances, doit être déconstruit car, comme à l’époque d’Athènes et de Melos, il se reproduit sans cesse : encore aujourd’hui avec l’Ukraine et la Russie.

Est-ce que c’est la déviation, au fil des siècles, des hommes qui n’ont pas très bien compris ce que ça voulait dire d’être là pour protéger les autres, en particulier les femmes et les enfants. Est-ce que du coup, parce que l’ordre mélien, parce qu’effectivement l’égo des mecs, parce que la société est complexe et pas toujours facile.

Et Loic Finaz de s’interroger : « Est-ce qu’il y a eu une dérive épouvantable qui fait que si c’est vrai, effectivement, il faut vite, vite, vite, vite ramener des filles dans le jeu. Oui, ça, c’est sûr. »

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