Le salaire d’une femme versé sur le compte exclusif de son conjoint, c’est fini ! Le 13 décembre 2021, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la loi sur l’égalité économique et professionnelle entre les hommes et les femmes.
Visible a rencontré Marie-Pierre Rixain, députée de l’Essonne, Présidente de la Délégation Droits des Femmes à L’Assemblée, elle est celle qui a porté et défendu le texte dans un souci permanent d’échange et de dialogue.
Interview par Florence Dauchez
Publié le 15 décembre 2021
Par ces mots extrait de son discours devant l’Assemblée, la députée a planté le cadre de sa proposition de loi : « Encore faut-il rappeler que les femmes perçoivent un revenu inférieur de 28,5% aux hommes, qu’au sein d’un couple, elles gagnent en moyenne 42% de moins, que leurs conjoints. À ces chiffres, j’ajouterai que les femmes n’occupent qu’un nombre limité de métier et de secteur professionnel, que le plafond de verre demeure une réalité, que les emplois peu qualifiés, et le temps partiel, sont, très majoritairement, le lot de femme, et que la pauvreté au travail a, 3 fois sur 4, le visage d’une femme. »
FD- À quel moment avez-vous pris conscience de l’inégalité économique des femmes ?
MPR- On me dit née féministe, je pense que c’est probablement le cas. Je me suis intéressée à ce sujet très tôt, dès l’âge de 16 ans, grâce à mon professeur d’Économie. J’ai eu envie d’agir, de construire les conditions d’accès à l’égalité des possibilités et des revenus. Lorsque que j’a été élue députée, je me suis naturellement portée candidate à la Délégation des Droits des femmes pour la présider.
FD- Quelles figures de votre enfance vous ont donné confiance en vous ?
MPR- Ma grand-mère paternelle, parce qu’elle a créé les conditions pour qu’à la fois je réussisse mes études et parce que elle a tout fait également pour conforter cette confiance en moi, sans même s’en rendre compte. J’allais pêcher les écrevisses avec elle dans la rivière, j’adorais ça, nous étions uniquement toutes les deux. Il fallait traverser des champs où se trouvaient d’énormes taureaux avec des grosses cornes, de la race salers, je vous assure que quand vous vous les voyez… Et ma grand-mère me disait : ”On y va, on traverse et on va à la rivière.” Je les regardais un peu du coin de l’oeil, je me disais : – bon bah très bien, on traverse le champ, il y a le gros taureau, on ne regarde pas. Et voilà, je suivais ma grand-mère, c’est symbolique de se dire : je suis les pas de ma grand-mère qui n’avait peur de rien. Finalement, elle me disait que j’étais assez forte pour pouvoir affronter un énorme taureau qui était très imposant.
Mon grand-père, aussi, a joué un rôle déterminant. Il était passionné de politique, ne manquait jamais les séances des questions à l’Assemblée chaque mercredi. Ensemble, nous pouvions discuter et débattre pendant des heures. Je pense très souvent à eux.
FD- Quel a été le point de départ de la loi sur l’égalité économique et professionnelle F/H ? Il faut bien démarrer à partir d’un point précis.
MPR- Je lance en septembre 2020 une mission à l’Assemblée nationale sur l’égalité économique. Et, au fur et à mesure des auditions, je constate que, manifestement, il y a un problème. En gros, c’est toujours la faute des femmes si elles ne sont pas financées, si elles ne sont pas égales aux hommes sur le plan économique, qu’on voudrait bien trouver des femmes mais elles ne sont pas là. Tous ces arguments si souvent rebattus. Un autre élément décisif tient au fait qu’il y avait également une maturité de la part de mes collègues. Je le sentais, parce que lorsque nous étions sur notre territoire, nous étions questionnés par les jeunes générations. Dans les établissements, à juste titre, les étudiants nous interpellaient, ne comprenaient pas pourquoi il y avait encore autant d’inégalité économique entre les femmes et les hommes.
FD- Ensuite, il s’agit de transformer une volonté en texte de loi ? Quelles ont été les étapes ?
MPR- Je savais ce que je voulais, ce que je ne voulais pas, je ne voulais pas d’un texte qui soit uniquement porté sur l’entreprise et les femmes présentes dans les comités de direction et comités exécutifs. Je voulais que ce soit un texte qui s’adresse à toutes les femmes, quel que soit leur âge, leur condition sociale, qu’elles aient des enfants ou non, etc. Je commence à écrire un texte un dimanche soir. Concernant la deuxième étape, j’ai reçu l’appui de l’administrateur de la Délégation aux Droits des femmes, Jean-Baptiste Leclère, qui donc m’a concrètement aidée à le transformer en loi.
FD- Une fois cette franchie, avez-vous continué à dialoguer avec les différents acteurs de l’économie ?
MPR- J’ai mené, effectivement, beaucoup d’auditions, une quarantaine. C’est un dialogue permanent, la construction de la loi. Entre le dépôt de la proposition de loi et la discussion du texte, j’ai rencontré de nombreux chefs d’entreprise, individuellement ou en groupe, qui m’ont tous dit qu’il y avait un besoin. Nous avons échangé avec les organisations syndicales, avec les membres du Medef et Pôle Emploi, bien évidemment. Ça, c’est le premier point. Le deuxième point, c’est que nous avons auditionné à la Délégation des Droits des femmes, Christine Lagarde. C’est une audition très intéressante où elle m’a mise en garde sur deux points que j’ai respectés. Le premier, c’est qu’il fallait que ce soit opérationnel pour les entreprises, et le deuxième, qu’il fallait créer de la granularité, pas uniquement un quota sur un ensemble, mais qu’il fallait que tout au long de la chaîne de l’entreprise, il y ait également cette exigence. J’ai réécrit mon texte au fur et à mesure des auditions. Il y a eu également Delphine d’Amarzit qui préside Euronext (la Bourse de Paris) et qui a expliqué à quel point, aujourd’hui, il y avait une pression de la part des actionnaires et notamment des actionnaires étrangers sur ces sujets. Ces attentes des partenaires étrangers ont confirmé qu’il devenait absolument indispensable pour les entreprises, pour elles-mêmes et pour leur croissance, de féminiser leurs équipes.
FD- Que ferez-vous une fois la loi adoptée ?
MPR- Alors, très concrètement, le jour J, je ne sais pas. Si c’est adopté avant Noël, je vais peut-être prendre quelques jours de vacances ! Mais, sur un moyen terme, la loi votée, ce n’est pas tout. C’est très concrètement faire en sorte qu’elle soit appliquée et que les acteurs s’en saisissent comme un levier pour eux. L’idée n’est pas d’aller faire le gendarme, mais bien de faire en sorte que ce soit un outil d’émancipation pour les femmes, mais également de croissance pour les entreprises et pour tous les acteurs !