Pompier au féminin

Isabelle Berard, Lieutenante-Colonelle des pompiers des Bouches du Rhône.

Elle est de celles qui ont ouvert la voie : Isabelle Bérard occupe aujourd’hui les fonctions de référente égalité et mixité au sein des pompiers des Bouches du Rhône. Ce petit bout de femme est Lieutenante Colonelle et ses galons elle a dû les transpirer. Car elle fait partie des 10 premières à avoir occupé des fonctions de commandement dans sa corporation. Pas simple de se faire une place au milieu des hommes du feu.

Interview Raphaëlle Duchemin
15 mars 2023

Elle a les cheveux tirés en chignon. Pas une mèche ne s’échappe : Isabelle Berard nous reçoit dans la caserne de Gardanne en tenue d’officier. La lieutenante-Colonelle n’aime pas parler d’elle mais aujourd’hui elle accepte de fendre l’armure. Pas le choix, elle doit une fois de plus montrer l’exemple, elle qui a fait partie des premières à occuper des fonctions de commandement chez les pompiers se retrouve aujourd’hui en charge des questions de RSE au sein du SDIS 13. Alors elle accepte de se raconter pour montrer comment elle est devenue une « femme du feu ». Un hasard ou presque car ce n’était pas son envie initiale : « Je me destinais à être professeur des écoles. C’était mon vrai souhait de départ. Notamment vers les petits enfants. Or il fallait, pour passer le concours, avoir un bac plus deux. J’ai donc entamé en IUT un diplôme d’hygiène et sécurité. Plus parce que les études étaient très pluridisciplinaires et me permettaient encore de faire vraiment toutes les matières, y compris de l’anglais, de la biologie, etc… » Ce qu’Isabelle ne savait pas à l’époque c’est qu’elle venait incidemment de bifurquer et de trouver sa voie.

« L’entourage que j’avais, les étudiants étaient tous des pompiers volontaires qui se destinaient à ça ; L’IUT faisait aussi quelque chose de très bien. C’est que quand on choisissait l’option pompier en deuxième année, il fallait avoir fait douze mois d’été feux de forêt au sein des Bouches du Rhône. Et donc je l’ai fait. J’ai été travailler deux mois comme saisonnière chez les pompiers. Le premier jour, j’ai compris que c’était fait pour moi.  

Le coup de cœur, l’engagement, est immédiat mais Isabelle va devoir se faire sa place dans un milieu extrêmement masculin.

« Il faut dire qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de femmes dans les Bouches du Rhône. Aucune. D’ailleurs, à ce moment-là, les locaux n’étaient pas du tout prévus pour. Donc, le chef de centre m’a installée sur le parking de la caserne sa caravane pour que je puisse être hébergée pendant un mois. »

BAPTEME DU FEU
C’est dans ces conditions qu’Isabelle est plongée dans le grand bain et ce dès les premières heures.

« Le premier jour où je suis arrivée, il y a eu un feu d’usine et ça a été mon premier baptême du feu. Donc on était en 83. Cette année-là, il y a eu beaucoup de feux de forêt, notamment au bagne, et puis une grande partie du territoire Bouches du Rhône. Et en septembre, j’ai annoncé à tout le monde que ça y est, j’avais trouvé ma voie et que c’est ça que je ferais. »

Un sacré défi car il fallait accepter d’être la seule femme au milieu d’hommes dans un environnement ou rien n’était prévu pour les accueillir. Alors pour Isabelle c’est le system D qui se met en place. « Les vestiaires étaient collectifs. Le dortoir avait trois lits, les douches étaient collectives. En fait, j’attendais que tout le monde ait fini de se doucher pour prendre la mienne. »

Mais rien ne décourage Isabelle : les mois s’enchainent et les expériences aussi. « J’ai passé le concours d’officier en 84 et j’ai occupé mon premier poste au sein de la caserne des sapeurs-pompiers de Nevers, le 1ᵉʳ janvier 85. Là, je cumulais deux handicaps entre guillemets, j’etais non seulement la première femme dans cette caserne, mais également la plus jeune. J’avais 20 ans et 20 jours. Et donc j’ai eu à la fois les difficultés d’une femme dans un milieu qui ne connaissait pas encore les femmes au sein de leur corporation, mais également le fait d’être officier en position de commandement et la plus jeune de la caserne. »

CASSER LES CODES
A ces difficultés s’ajoutent aussi tout un tas d’aspects matériels auquel il va falloir faire face : « même notre tenue de sortie ne ressemblait pas à celle d’un pompier. On avait une tenue de sortie qui ressemblait un peu à celle des contractuelles et très souvent, dans la rue on me demandait s’il fallait payer le parcmètre ou pas. C’était nouveau aussi sur les interventions, le public ne me reconnaissait pas comme patron de l’opération. Et très souvent ce sont les pompiers à qui les personnes demandaient ‘est ce que je peux regagner mon domicile après le feu’, qui étaient obligés de diriger les gens vers moi. Et les gens me regardaient un peu bizarrement en disant ce n’’est pas possible, ce n’est pas elle qui doit commander l’opération. 

Donc on était quand même des OVNI au milieu de la profession et il fallait toujours essayer de s’imposer d’une façon ou d’une autre. Certains stages de spécialités nous étaient fermés. On ne nous attendait pas sur les feux de forêt, on ne nous attendait pas sur le sauvetage déblaiement, donc il fallait toujours essayer d’enfoncer les portes, de montrer qu’on était capable et voir même d’aller tirer la manche pour dire je suis là et je et cette spécialité, je veux pouvoir l’exercer et il fallait que je prouve que j’étais allée sur tel ou tel feu de forêt.

 J’étais obligé de remplir un peu mon cv avec les opérations que j’avais effectuées pour pouvoir être crédible et pour pouvoir être acceptée sur certaines spécialités qui montrent aussi qu’une fois qu’on a été accepté, il fallait être la meilleure à la sortie. Donc il fallait être toujours au top pour ne pas donner la possibilité de penser qu’on nous avait donné le diplôme final mais qu’on l’avait gagné bien au-delà de ce qu’on attendait de nous au départ. »

LES PREMIERES
Ce qui vaut pour Isabelle vaut aussi pour ses collègues : car en même temps qu’elle, 9 autres femmes ont poussé la porte de la corporation. Avec pour chacune d’elles une obligation de résultat qui engage toutes les autres.

« Je n’ai jamais montré une faille quelconque et je pense que les consœurs qui ont commencé en même temps que moi avaient cette même obligation là. En fait, on portait aussi sur le dos toutes les féminines, c’est à dire que la première qui ratait quelque chose, c’était porté par toutes les autres. Il fallait toujours être au-dessus. Avec une particularité, c’est qu’on était aussi seules dans le groupe. » 

UNE REALITE CHIFFREE
Ce temps-là est révolu : mais le changement s’est opéré lentement. Et le chemin de la parité est encore long même s’il est engagé.

 Ça a évolué depuis peu de temps -reconnait Isabelle- la profession a commencé vraiment à réfléchir à l’égalité professionnelle vers 2016, on a réfléchi aux premiers plans d’égalité professionnelle et on a vraiment mis sur le devant de la scène la réflexion. Elle a été portée d’ailleurs par toute la profession. Là, je dois dire que c’est vraiment quelque chose qui a été global.

On a réfléchi à tout, à l’intégration dans les casernes, aux tenues d’interventions. Celle que je porte aujourd’hui a pu être féminisée entre guillemets et donc normalisée, il n’y à qu’à peu près deux ans. Jusqu’à présent, on portait des tenues masculines sur des petites tailles, avec des morphologiques, qui n’étaient pas forcément adaptées. »

Et cette réflexion a profité à tous, explique Isabelle : « En fait, travailler sur la féminisation. Ça a permis aussi de travailler sur le collectif puisque toutes ces avancées-là ont servi aussi aux hommes, notamment sur les tenues d’interventions, sur les équipements de protection individuelle, etc. »

Il y a donc du mieux. Mais c’est une bataille permanente à livrer dit celle qui occupe aujourd’hui la fonction de référente égalité mixité au sein des pompiers des bouches du Rhône. « Pour commencer à être visibles entre guillemets au niveau de la hiérarchie, il faut aussi qu’un certain nombre de femmes rentrent dans la profession et qu’on alimente le nombre par la base de manière à pouvoir, au fur et à mesure, être présentes à la fois sur les grades supérieurs, sur les comités de direction, sur les postes d’encadrement. Et donc, ce temps-là, il est très long. Donc il faut aussi que dans les mentalités de la population, les femmes commencent à se dire ce métier est ouvert aux femmes, je peux y arriver.

On a beaucoup d’enfants de pompiers qui sont pompiers, mais ce n’est pas forcément quelque chose qui rentre dans les idées de choix de métiers pour les femmes. Ce n’est pas quelque chose qu’on leur propose dans les conseils d’orientation. Donc ça il faut le changer et c’est très long à se mettre dans les esprits, à permettre aux femmes de se dire c’est possible. »

Et les chiffres sont là pour appuyer son propos :

« Aujourd’hui, tous statuts confondus, on est à un taux de féminisation nationale qui est à peu près de 20 %. Ça veut dire qu’un pompier sur cinq, est une femme. C’est encore insuffisant. Mais quand on découpe derrière ces indicateurs-là, on se rend compte qu’on est que dix pour cent de femmes pompiers professionnels. Sur les Bouches du Rhône par exemple, seulement 4 % de femmes cheffes de centre. »
« Aujourd’hui, au niveau des pompiers professionnels, on n’a que 3 % de femmes qui sont officiers supérieurs du grade de colonel ou lieutenant-colonel. Ce qui devient positif quand même, c’est qu’au niveau du grade de capitaine par exemple, on a maintenant 11 % de femmes. Donc on se rend compte que petit à petit les chiffres commencent à monter et ça c’est important et c’est là-dessus qu’il faut travailler. »

FIERE
La relève est assurée et pour Isabelle le message a même été transmis jusque dans sa propre famille :

« Sur mes trois enfants, j’ai deux garçons, une fille. Et en fait, c’est ma fille qui, à 17 ans, m’a dit Maman, j’ai envie de m’engager comme pompier volontaire. Je ne serai pas professionnelle comme toi, mais je j’ai envie de cet engagement pompier volontaire et j’avoue que c’est une vraie fierté. Quand elle a fait ses premières armes, quand elle est arrivée, qu’elle a fait ses formations, quand on lui a remis son casque, parce que ça y est, elle avait finalisé ses formations, elle devenait pompier, elle pouvait partir en intervention. J’avoue que c’est quelque chose d’extrêmement prenant et touchant. Et de lui avoir transmis ces valeurs-là, lui avoir transmis cet amour de la profession que j’ai c’est une vraie réussite pour moi ».

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