«Ma voix, je l’ai trouvée au fil des années.»

Rebecca Manzoni, journaliste et chroniqueuse musicale

Sofia Coppola, Mehdi Ouraoui, Paul Mirabel, Anaïs Demoustier, Rebecca Manzoni nous a habitués à la suivre dans ses virées culturelles éclectiques depuis qu’elle fait de la radio et de la tv, sur France Inter et Arte.

Il y a du chemin parcouru avant de prendre la tête du rendez-vous sacré de France Inter, Le Masque et la Plume. Visible s’intéresse aux débuts, aux envies de départ, au parcours.

 

Votre voix, unique, comment s’est-elle élaborée ?

Je ne me suis jamais dit que j’avais une voix différente. Je m’en suis rendu compte parce qu’on me l’a fait remarquer et assez tardivement parce que cette voix, je l’ai trouvée ou elle m’est venue au fil des années et je pense qu’en fait, rétrospectivement, en essayant d’analyser un peu les choses, cette voix, je l’aie depuis que je me sens vraiment bien à la radio.

Quelle place la radio a-t-elle eu dans votre construction ?

J’ai grandi en province, en Lorraine. La radio, c’était mon truc : dans les musiques que j’écoutais, dans les émissions que j’écoutais, dans les voix que je fréquentais, la radio,c’était la fenêtre grande ouverte sur le monde. Cette voie, je n’ai pas osé tout de suite l’emprunter parce que déjà, c’était Paris, parce que c’est un milieu que je ne connaissais absolument pas. Pendant ma première année de fac, je ne cessais de parler du fait que j’avais envie de faire de la radio et que j’écoutais France Inter.Je bossais dans une association qui s’appelle Emmaüs. À force de saouler tout le monde avec ça, le directeur de l’association m’a dit : « – parmi les bénévoles, il y a une preneuse de son. Et donc je rencontre cette femme qui me fait visiter la Maison de la Radio, qui me dit : – tu sais que tu peux faire un stage. » J’ai attendu devant le bureau des stages, si on peut dire, jusqu’à ce que la personne me reçoive. Et c’est comme ça que j’ai mis un pied dans la radio.

Vos débuts à la radio, vous vous souvenez des circonstances ?  

J’ai eu la chance de commencer mon stage à la radio avec un homme qui s’appelait Olivier Nanteau, qui m’a confirmé que je pouvais y avoir ma place. Et puis voilà, j’ai fini ce stage d’été et cet homme avait gardé le téléphone de mes parents, je me souviendrais toujours, j’étais chez mes parents, le téléphone sonne, ma mère décroche, elle vient à la cuisine. Elle me dit : – C’est Olivier Nanteau au téléphone ! Comme si elle avait parlé à Dieu. Et Olivier me dit : – Écoute, mon attachée de production doit partir pendant quelque temps. Est-ce que t’es d’accord pour la remplacer ? Wow!

J’ai exercé des métiers assez différents d’attachée de production, de faire du montage, du reportage, écrire des papiers jusqu’à présenter des émissions. J’ai eu une émission d’été et puis après on m’a proposé une chronique à l’année et puis après, ça a été une émission hebdomadaire, et puis ça a été une émission quotidienne.

La culture est votre domaine aujourd’hui. Avez-vous grandi dans un contexte familial imprégné de culture ?

J’ai grandi dans une famille où la culture, c’était bien. C’est bien de lire, mais ce n’est pas forcément pour ça qu’on lit. Pour prendre une image, j’ai toujours vu dans la bibliothèque la collection des Victor Hugo reliés cuir que ma grand-mère italienne avait achetéé parce qu’elle considérait que c’était important de l’avoir. Et mon père en a hérité et j’en ai hérité à mon tour. Donc, il y avait cette idée de : la culture, c’est important. Après, s’y mettre, c’est une autre histoire.

Quand je suis arrivée à Paris en classe prépa littéraire, je me suis retrouvée au milieu de gens pour qui lire était une évidence. Moi, le plaisir de la lecture est venu assez tard et ça je pense que ça compte dans la façon d’interviewer les gens, donc, dans la façon de parler à celles et ceux qui nous écoutent. Cette relation initiale à la culture m’avait finalement construite comme journaliste culturelle.

Vous sentez-vous légitime à animer Le Masque et la plume ?

Je vais animer Le Masque et la Plume, ça veut dire lire 8 livres par mois. Le Masque, c’est 70 ans d’histoire. C’est François-Régis Bastide, Michel Polac, Pierre Bouteiller, Jérôme Garcin, et je déboule ! Je suis la nouvelle, c’est une position très particulière. Ça va être une écriture radiophonique inédite pour moi. C’est aussi ça qui m’intéresse. Je n’aurais pas la même façon d’animer le débat, ne serait-ce que parce que Jérôme Garcin a construit la complicité avec les critiques depuis des années et des années. Je ne suis absolument pas sûre de moi quant à la réussite du Masque. Je suis pleine de doutes par rapport à ça.

Ce en quoi j’ai confiance, c’est ce que j’ai construit jusqu’ici parce que je n’avais pas de réseau, rien n’était acquis. Et je crois que mon parcours raconte ça. On peut venir de nulle part, enfin, de nulle part, non pas de nulle part, mais d’un milieu social loin de Paris et loin de cet univers et construire quelque chose qui soit personnel et qui puisse convaincre.

Interview Florence Dauchez
16 janvier 2023

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