Porter le sport féminin à son zénith

Romain Beauvais, journaliste.
L’essentiel est invisible pour les yeux. La citation culte du Petit Prince pourrait aussi être celle de Romain Beauvais. Le journaliste devenu aveugle au fil du temps a décidé de créer un média non pas pour donner une tribune aux personnes en situation de handicap, mais pour défendre la cause des femmes sportives. Deux situations qui manquent de médiatisation et qui méritent davantage d’attention. N’étant jamais si bien servi que par soi-même, il a décidé de passer de l’idée aux actes.

Interview menée par Raphaëlle Duchemin
Publié le 16 décembre 2021

L’histoire de Romain force l’admiration. Quand je le contacte sur Linkedin pour qu’il m’explique pourquoi il a choisi de créer un média dédié au sport féminin, un détail dans son profil attire mon attention. Et j’avoue, je reste sans voix. Car oui, Romain Beauvais a choisi de s’intéresser à un public invisibilisé, alors qu’il est malvoyant. Là je suis bluffée. Et je vais l’être encore plus quand je vais le rencontrer. 

Nous sommes en plein déménagement quand nous réalisons l’interview et Romain est contraint d’enjamber des sacs, des cartons bref tout ce qui fait obstacle sur un chemin qu’il ne connaît pas. Il plie sa canne me prend le bras, je le guide, il rigole… Il est un peu stressé : d’habitude, c’est lui qui pose les questions…

Saleté de nerf optique !

Je lui demande d’abord depuis quand il ne voit plus, et il me raconte comment sa vie a basculé : « J’ai fait une scolarité normale, et puis, en 2003, je vais chez l’ophtalmo pour un contrôle et là, c’est un peu le drame parce qu’il m’explique que je peux devenir aveugle. On fait plusieurs hôpitaux de Paris. Et le diagnostic tombe. Je suis atteint d’une rétinite pigmentaire, ça veut dire que je vais perdre la vue par paliers. Donc il a fallu se reconstruire. Il a fallu apprendre à perdre la vue. » Il se livre Romain tout en simplicité. Sans artifice. Mais surtout bien décidé à montrer qu’il ne doit pas être réduit à son handicap ; et je vais très vite en avoir la preuve.

« J’ai intégré la faculté avec toutes ces difficultés qui peuvent incomber à une personne déficiente visuelle puisqu’à l’époque, j’avais un handicap invisible. Et ensuite, j’ai intégré l’IPJ en 2010 par la formation par l’apprentissage. J’étais chez Lagardère Numérique chez Sport.fr, pendant deux ans, à apprendre mon métier de journaliste sportif. »

Passer de l’autre côté

Quand je lui demande pourquoi il a décidé de se spécialiser la réponse, fusse évidente : « Depuis tout jeune, tout petit, je suis un drogué de sport, le sport rythme, ma vie de tous les jours. Donc, avant de perdre la vue, j’ai fait du foot, du tennis, du rugby, de la course à pied. Malheureusement, je savais que j’avais touché mes limites. » 

Il réfléchit alors au meilleur moyen de continuer à vivre sa passion : quoi de mieux que de côtoyer des sportifs au quotidien. Mais alors pourquoi ladies sports ? « En 2010-2011, quand je suis en formation chez Sport.fr, je vais à une conférence de presse sur le handball féminin, avec la meilleure joueuse de hand qui était Alison Pineau à l’époque. Je découvre un univers que je ne connaissais pas, je me suis dit, il y a quelque chose à faire. »

L’idée fait son chemin et ce n’est qu’un an plus tard que le déclic va s’opérer dans la tête de Romain. Déjà sensibilisé il n’en revient pas quand il se présente à la conférence de presse du PSG féminin. « Je me dis, mais c’est ouf ! Il y a une télé, une presse écrite et moi. Trois jours avant, j’étais au Parc des Princes pour les garçons, c’était Disneyland ! Il y avait peut-être 150 journalistes accrédités ». Dans sa tête, le projet est lancé… Il veut travailler à l‘égalité homme-femme dans le sport, ce sera son cheval de bataille… avant-gardiste sans le savoir. 

« Pour moi, à l’époque, j’avais plus l’impression de parler de sport et pas de féminisation ou de féminisme au sens large. Aujourd’hui, c’est seulement 16 % à la télé. S’insurge-t-il ! Ça veut dire que sur 1h de retransmission télé, vous n’avez que 16% pour le sport féminin.« L’objectif ce n’est peut-être pas d’arriver à une parité parce que, je ne suis pas certain qu’on y arrive un jour, mais qu’on arrive au moins à 45 %, 46 %, 47 % et donc on travaille sur ça. »

En parallèle des interviews qu’il réalise auprès des sportives Romain fait aussi un travail de terrain auprès des fédérations pour que l’idée devienne une évidence : « Les fédérations sportives, qui ont l’obligation d’avoir un plan de féminisation. » dit-il très au fait de tout ce qui touche à la question. Ce qui sera plus long d’après lui c’est d’aller évangéliser les collectivités pour voir quelles actions mettre en place pour promouvoir le sport féminin. Mais il n’a pas dit son dernier mot…

Porte-voix de la cause

« À travers mon média, elles ont une tribune. Ça veut dire qu’elles ont un espace pour parler, pour s’exprimer, pour être visibles » et les sujets ne manquent pas : parmi ceux qui le révoltent le plus la question de l’égalité salariale…. Chez les garçons, vous avez des salaires à hauteur de millions d’euros, chez les filles, vous êtes à des milliers d’euros. Donc l’objectif, c’est plus de faire avancer la cause. « Quand j’ai démarré (se souvient-il) il y avait très peu de médias en zone mixte. Aujourd’hui, quand vous allez à Charléty pour vous accréditer, la salle est quasiment pleine. C’est un bon point. ». Signe aussi selon lui que les mentalités évoluent l’acquisition des droits TV pour le foot féminin. Vous voyez que les audiences sont stratosphériques quand ça passe à la télé. Des motifs de satisfaction tout autant que les sourires et les mercis des athlètes quand elles le voient arriver sur des courses de vélo pas franchement médiatisées.

« Les femmes sont aussi un public invisible, et avec le handicap, vous avez cette double peine. Parce que quand vous êtes sportif de haut niveau, en situation de handicap, les médias à part quand il y a les Jeux ils viennent très peu vous voir. Je travaille pour qu’aujourd’hui on devienne visible. »  Et pour ceux qui n’auraient pas bien compris le message Romain arbore fièrement un sweat qui annonce la couleur :  flanqué d’un énorme cœur on peut y lire I love ladies sports.

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