Interview réalisée par Florence Dauchez et Elitsa Gadeva
Novembre 2022
« Une gifle que nous avons toutes et tous reçue. »
En juillet dernier, l’impensable est devenu réalité : la Cour Suprême des Etats-Unis décidait de revenir sur l’arrêt Roe V Wade, lequel reconnaissait le recours à l’IVG comme un droit constitutionnel relevant de la notion de liberté individuelle et de droit à la vie privée. Aussitôt, l’Alabama, la Géorgie, le Texas ont adopté des lois anti-avortement. Ensuite, ce sont plus de 20 états qui ont réduit ce droit jusqu’à, pour certains, refuser les avortements thérapeutiques ou en cas de viol.
Quand les droites populistes s’installent au pouvoir, le droit à l’IVG et à la contraception est souvent immédiatement menacé.
Il existe un lien direct entre cette liberté de choix pour les femmes, leur indépendance économique, leur condition au sein de la société.
Marie-Pierre Rixain, députée de l’Essonne, à l’origine de la loi éponyme sur l’indépendance économique des femmes promulguée il y a bientôt un an, porte une des propositions de loi dont l’objet sera d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française. Une loi se défait vite, modifier la Constitution est une autre affaire.
Marie-Pierre Rixain :
« Le droit à l’avortement pour une partie de la classe politique est une concession que l’on offre aux femmes pour les secourir, alors même qu’elles auraient fauté. Fauté parce qu’elles auraient oublié un moyen de contraception, parce qu’elles auraient été légères, voyez, cet esprit-là. La remise en question de l’arrêt par la Cour suprême de Roe vs Wade au mois de juillet, a été, je crois, une gifle que nous avons toutes et tous, comme ça, pris de manière très violente et on a très vite compris que ce qu’on ne croyait pas être possible l’est, dans ce que l’on imaginait, selon Tocqueville, être la plus belle démocratie du monde.
Je pense donc qu’intégrer le droit à l’avortement dans notre Constitution aura la vertu d’abord de le protéger, et au vu en effet des forces, des poussées parfois d’extrême-droite populiste que nous pouvons avoir, et je pense évidemment à la Hongrie, je pense évidemment à la Pologne, nous ne sommes pas à l’abri d’une remise en question et c’est la raison pour laquelle c’est très important de l’intégrer dans la Constitution.
La société n’a pas à juger cet acte pour les femmes et donc moi je considère par exemple aujourd’hui qu’il faut rendre cet acte facile d’accès et je pèse mes mots quand je le dis, mais je pense vraiment que ce droit-là doit être facilement accessible pour les femmes aujourd’hui, dans notre pays. Et bien cela heurte un certain nombre probablement de forces politiques conservatrices, disons-le, qui ne conçoivent pas que ce droit-là est un droit fondamental pour les femmes et qu’il pourrait peut-être facilement être remis en question.
Je crois que les jeunes femmes, notamment à travers leur engagement sur la question des violences, ont pris conscience qu’elles devaient être toujours vigilantes quant à leurs droits.
Le sentiment que j’ai de l’expérience qui est la mienne, notamment en tant qu’élue également de terrain, c’est qu’il y a des jeunes femmes qui savent aujourd’hui de manière théorique qu’il faut protéger les droits des femmes. Et puis il y a celles qui sont confrontées de manière peut-être plus importante à la difficulté d’être une jeune fille et de pouvoir librement choisir sa vie.
Mais toutes ont en commun d’avoir cette responsabilité de vigie et de faire-part également à leurs amis masculins de l’importance de leurs droits pour leur vie et également à eux. Parce que lorsqu’on protège les droits des femmes, on ne protège pas seulement les droits des femmes, mais on permet également aux hommes aussi de pouvoir être plus libres dans leur acceptation sociale et de ne pas forcément correspondre au schéma qui serait incarné ou voulu ou diffusé par des schémas conservateurs, voire même populistes. »