C’est une rixe et le drame qui en a découlé qui a déclenché la décision de Khady Mané de faire tout ce qui serait possible pour sensibiliser les adolescents aux dommages de l’ultra violence sur les familles dévastées et sur le destin des jeunes impliqués. Personne ne gagne, tout le monde perd.
Résidente à Paris dans le 20ème arrondissement, précisément dans le quartier de La Banane, Khady Mané a fondé l’association éponyme. Elle y organise des repas, des rencontres, des projections, des débats. Avec un sens du devoir bouleversant.
22 février 2023
Interview Florence Dauchez
KM : Quand son enfant est décédé, c’était pendant l’hiver, j’ai vu cette mère avec un t-shirt, en plein hiver ! Où tout le monde grelotait de froid je me suis dit : « Ô mon Dieu ! ». On ne se remet jamais ! Et je pense qu’on parle de perte de femmes, on parle d’orphelins, de veuves et de veufs. Mais est-ce que ça existe un mot pour définir un parent qui a perdu son enfant ?
FD : Qui sont ces jeunes ?
KM : La tranche d’âge qui est la plus touchée, c’est entre quatorze et seize ans. Là, il y a l’adolescence et ils veulent s’affirmer, sauf que ce n’est pas de la bonne manière.
FD : En France en 2022 il y a eu 320 rixes. Pourquoi ça dérape ?
KM : C’est vraiment un prétexte ! Pour des trucs de rien du tout, ça part ! On a beaucoup de jeunes qui aiment rapper et en rappant, eux ils produisent des vidéos. Et sur ces vidéos, souvent, il suffit d’une petite affiche où l’on voit le nom de la « Banane » ou de « Belleville ». Ça y est, ils viennent demander des comptes aux jeunes qu’ils ont vus dans ces clips : « Pourquoi vous avez mis notre quartier, le nom de notre quartier dans votre clip ? » Je leur dis : « Nous, on a laissé tout pour venir ici ! On n’a pas emporté notre quartier avec nous ! Et quand on va partir, on ne part pas avec le quartier ».
Donc arrêtez de dire que c’est votre territoire ! L’espace public appartient à tout le monde ! Et mon quartier tu es qui pour dire que c’est ton quartier ?
FD : Qu’est-ce que vous faites pour changer le monde ?
KM : J’agis, je vais vers eux, je leur parle. C’est autour de la nourriture qu’on peut discuter et échanger. Nous, les valeurs qu’on a eues, c’était autour du bol. Quand on rentrait de l’école, c’est là où on nous posait des questions, on mangeait et on discutait avec les parents. Et je me suis dit autour d’un repas, il n’y a pas mieux pour échanger. Je leur dis : « Pensez à vos mamans, surtout ! pensez à vos parents ! » Parce que vous partez vous battre, vous êtes touchés ou vous mourrez, la vie de vos parents s’arrête le jour où vous êtes décédés !
Les paroles venant de ces mamans ont beaucoup d’impact sur cette jeunesse.
FD : D’où provient cette force de volonté ?
KM : Il y a une force parce que je n’ai pas évolué dans ma vie professionnellement. Et je me suis dit, là, moi, je veux, quand je quitterai cette terre, que je marque mon empreinte en voulant sauver ces jeunes, C’est mon devoir !