A la rencontre des derniers survivants de la Shoah

Sophie Nahum, réalisatrice

« Je pense que la mémoire de la Shoah n’est pas une histoire du passé et pas une histoire de juifs. C’est l’histoire de l’humanité. »

Un patrimoine pour les générations futures

Propos recueillis par Florence Dauchez

Sophie Nahum, vous êtes la réalisatrice et la productrice de la série documentaire baptisée Les Derniers. Depuis 4 ans, vous allez à la rencontre des derniers survivants de la Shoah. Vous avez également rassemblé ces entretiens dans un livre éponyme. A quelle question voulez-vous apporter des réponses ? 

Sophie Nahum : Au fil du temps et des rencontres, mes questions se sont précisées même si je ne les posais pas directement :

Comment l’homme se reconstruit t-il après l’horreur ? Qu’est-ce qui est possible ensuite ? Quelles séquelles restent ? Quel traumatisme ? Est-ce qu’on peut avoir une vie normale ? Est-ce que la vie prend le pas sur les cauchemars, peut-on grandir sans ses parents ? 

Comment parvenez-vous jusqu’à ces deniers survivants ? Comment se déroule le processus de recherche ?

SN : Comme mon projet est un projet visible sur Internet et qu’une grosse communauté s’est agrégée, en fait, depuis quelques temps, des familles me contactent en me proposant de venir filmer leurs témoins, leurs grands-parents, leurs parents.  Et là, j’ai accès à des témoins beaucoup plus rares, parfois, qui n’ont jamais témoigné. 

Comment résister à l’émotion devant de tels récits ? 

SN : Je crois que le fait de ne pas avoir été touchée dans ma chair, a été un plus par rapport au projet, parce que je pense que je les ai abordés d’une manière un peu plus spontanée, volontairement naïve.

Je n’ai pas eu ça dans mon biberon, je ne suis pas une experte, je ne suis pas historienne, j’y étais avec des questions que tout le monde peut se poser. Et je pense qu’on peut s’identifier à moi quand je vais à la rencontre des ces personnes.

rencontre avec Sophie Nahum

Quel est le message de ces survivants, pouvez-vous définir leur état d’esprit ?

SN : Tous les gens qui les rencontrent le disent et ce n’est pas quelque chose de naïf, ils voient les choses ainsi : en ayant vécu le pire, ils ont développé une hyper conscience de ce qu’est l’humanité. C’est très beau à observer.

Le silence souvent a recouvert ces moments sombres de l’histoire familiale. Pourquoi parler aujourd’hui ?  

SN : Souvent la parole s’est déliée avec les petits-enfants. Oui, c’est cela, c’est souvent les petits-enfants qui sont venus vers leurs grands-parents en disant c’est quoi ton tatouage ? Les récits partent de ces questions simples à l’intérieur des familles. 

Il a fallut reprendre le fil de la vie mais sur un socle différent. Les lieux, les moyens, les familles avaient disparu. 

SN : Ils ont construit une vie après, avec une force, un courage, une élégance. Ils ont souvent fait de brillantes études. Ils n’avaient plus rien, ils n’avaient plus de famille, plus d’argent, évidemment, ils ont été très peu aidés, ils sont sortis du Lutétia avec un ticket de métro et il a fallu reconstruire une vie et ils l’ont fait ! 

Pour moi, ce sont des héros. C’est à dire qu’ils me transmettent une force incroyable. A nous tous. 

Je trouve qu’on manque de héros de ce niveau. Ce sont des gens qui ont été victimes de quelque chose d’inconcevable. J’en ai rencontré cinquante. A chaque récit, j’ai le même effroi comme si c’était le premier.

Aujourd’hui, nous assistons à une progression de l’esprit communautaire. Comment sensibiliser ceux qui ne sont pas touchés directement par l’Holocauste ?

SN : Je pense que la mémoire de la Shoah n’est pas une histoire du passé et pas une histoire de juifs. C’est l’histoire de l’humanité. C’est de la psychologie, c’est de la sociologie, c’est de la philosophie. Toute l’espèce humaine est incluse dans cette histoire. Je ne pense pas du tout que mon projet changera quoi que ce soit, mais en tout cas, moi, j’ai ressenti le besoin et le devoir de faire quelque chose. Chaque rencontre est un plaisir et un honneur.

J’ai l’impression d’avoir beaucoup de chance de m’être offert ça aussi. J’ai beaucoup de chance d’avoir entrepris quelque chose qui me convienne.

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