Il y a une vie après le cancer du sein : et les femmes qui sont passées par cette épreuve comme Véronique Gonzales nous le montrent.
Cette quadragénaire a lancé « les minettes en goguette ». Une marque de vêtements adaptés aux femmes qui comme elle ont dû affronter la maladie et réapprendre à vivre avec une nouvelle silhouette. C’est à Marseille qu’elle a choisi de la développer.
En ce mois d’octobre rose, elle témoigne pleine d’optimisme et de résilience
RD : Pourquoi avez-vous imaginé une ligne de vêtements pour les femmes ayant eu un cancer ?
VG : j’ai eu un cancer du sein en 2016. Et en fait, avec les différents traitements, je me suis rendu compte qu’il était compliqué parfois de s’habiller et de pouvoir trouver les vêtements qui nous convenaient, dans lesquels on se sente bien et dans lesquels on puisse aussi oublier la maladie, les cicatrices et les différents traitements.
RD : Ces vêtements n’existaient pas?
VG : Je ne les ai pas trouvés. J’ai pris des cours de couture pour créer mes premiers vêtements. Parce qu’au départ, je croyais que c’était vraiment que moi qui avais un problème avec ça. Jusqu’à ce que mon oncologue me dise « Mais vous l’avez trouvé où ce vêtement ? » Donc, quand je lui ai expliqué que je l’avais créé elle m’a dit:« Vous restez avec moi cet après-midi, vous allez discuter avec les femmes qui sont en salle d’attente pour voir que vous n’êtes pas seule. »
RD : Qu’est-ce qui pose problème avec les vêtements classiques ?
VG : Alors moi, déjà, j’ai eu une mastectomie ce qui m’oblige à mettre une prothèse. J’avais envie de trouver des vêtements qui me permettent de choisir si oui ou non je voulais mettre ma prothèse sans que ça choque la personne qui est en face de moi.
Et en plus de ça, avec les différents traitements, je devais avoir 80% de ma garde-robe que je ne supportais plus sur ma peau. Parce qu’en fait, les traitements changent la texture de la peau et beaucoup de matières deviennent irritantes sur la peau. Et à côté de ça, j’avais aussi les cicatrices qui s’irritaient en fonction des différentes matières qui pouvaient frotter sur les cicatrices.
RD : Donc, il y a des matières que vous ne pouvez plus porter ?
VG : Oui, il y a des matières comme le polyester, la viscose que je ne peux plus mettre du tout. Et en fait je me suis rendu compte aussi que les tissus que je supporte bien sont des tissus qui sont sains pour la peau et pour l’environnement : comme par exemple un tissu à base d’algues, les tissus à base de bambou, le coton, le coton bio. Tous ces tissus-là, et plutôt les tissus naturels qu’on supporte beaucoup plus facilement sur la peau.
RD : Ca signifie que vous avez du changer toute votre garde-robe ?
VG : Moi, quand j’ai fini les traitements et que j’ai voulu reprendre la vie professionnelle et une vie sociale, on veut retourner dans ses anciens vêtements. La parenthèse est terminée, mais finalement, elle n’est pas complètement terminée. On n’est pas à l’aise dans les vêtements. Le corps a changé. En fait, on a une autre approche de la féminité.
Il faut aussi apprivoiser ce nouveau corps parce qu’avec les traitements, on peut prendre du poids ou en perdre. On a en général des cicatrices. On peut aussi avoir l’ablation d’un ou deux seins. Donc c’est beaucoup de choses reliées à la féminité qu’il faut apprendre à gérer, à aimer de nouveau, à appréhender. Et donc il faut déjà être à l’aise avec ça.
Et il faut aussi être à l’aise dans les vêtements qu’on porte au quotidien.
RD : Qu’est-ce que vous avez imaginé comme vêtement qui vous permette justement d’être à l’aise ? le tout premier ?
VG : Alors il avait une brassière que j’avais cousue sur mon vêtement pour me permettre de choisir si je voulais mettre ma prothèse ou pas. Et il avait une particularité ; quand je me penchais en avant, le tee-shirt ne baillait pas. En fait moi, j’ai eu un accident à la maison, comme ça avec mon jeune fils. J’étais rentrée du travail. J’avais enlevé ma brassière et ma prothèse, j’avais passé un tee-shirt, je me suis penchée en avant, le tee-shirt a baillé et là, mon fils était en face de moi ; il est devenu blême. Aujourd’hui, il ne se rappelle pas de cet épisode là, mais moi, ça a été un vrai déclencheur. C’est là où j’ai cherché des vêtements adaptés pour pouvoir mettre ma prothèse, être bien être à la maison, être dehors, reprendre une vie sociale et être à l’aise en fait.
RD : Comment avez-vous réalisez que vous n’étiez pas seule à vivre ce problème ?
VG : Lors du check de contrôle chez l’oncologue. Parce que là, j’ai rencontré des femmes qui bricolaient chacune dans leur coin, qui n’en parlaient pas non plus parce qu’en fait, elles s’étaient rendu compte aussi que, comme il n’y a pas d’offre, en fait, on a la sensation d’être seule avec notre problématique.
Par exemple j’ai rencontré une femme qui mettait systématiquement des compresses entre son soutien-gorge et la peau, parce que sinon ses cicatrices s’irritaient. J’ai rencontré une femme qui mettait une chaussette dans le soutien-gorge parce qu’elle ne supportait pas la prothèse. J’en ai rencontré une autre qui accrochait ses vêtements avec des épingles à nourrice et en fait, chacune bricolait dans son coin sans en parler.
Je me suis dit il y a vraiment quelque chose à faire.
RD: Vous prenez des cours de couture et après?
VG: J’ai découvert un nouveau monde dans le monde du tissu, avec beaucoup d’innovation et par exemple, ce tissu à base d’algues qui a des propriétés régénérantes et cicatrisantes. Pour la peau, ça envoie de la vitamine E. C’est un tissu respirant parce que comme problématique, avec l’hormonothérapie par exemple, on peut avoir comme effets secondaires de ne pas gérer sa transpiration.
Donc un tissu comme ça, qui a toutes les propriétés de l’algue et qui le reproduit sur le tissu, c’est facile à porter, ça a un toucher soyeux, c’est comme une seconde peau. Donc on l’oublie et on est bien. En fait, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de tissus comme ça, qui ont des propriétés, qui sont non nocifs pour la peau et l’environnement. Parce que pour moi, c’était hyper important aussi en sortant d’un cancer de ne pas ramener quelque chose qui pouvait être nocif. Alors être bénéfique en plus ça c’est formidable.
J’ai fait une formation en stylisme à Paris. C’était avec le Greta en collaboration avec l’école Boulle et j’avais une professeure qui était passionnée par l’art, par le côté fonctionnel et esthétique.
Donc elle a vraiment adhéré tout de suite à l’idée de faire des vêtements adaptés, esthétiques et fonctionnels et suite à ça, j’ai rencontré Chantal, une modéliste, qui a vraiment réussi à comprendre les particularités de chaque vêtement et pourquoi je voulais travailler sur tel et tel effet secondaire. Qu’est-ce que je voulais, à quels vêtements je voulais aboutir.
RD : Et après vous quittez Paris ?
VG : on est à Marseille depuis deux ans. J’avais vraiment envie d’entreprendre ici à Marseille et pour la production, j’ai cherché des ateliers en France.
Et à Marseille, j’ai trouvé quand même un atelier de réinsertion qui fabrique notre ensemble lingerie et notre maillot de bain. Et pour moi, c’était important aussi de travailler avec, avec ces ateliers de réinsertion dans la logique et dans l’ADN de la marque afin qu’on intègre tout le monde parce que moi, j’ai été frappée de la précarité aussi, dans laquelle on peut se retrouver après en se retrouvant soi mère en solo, soit en perdant son travail, soit les deux. Et pour moi, c’était hyper important de travailler avec des ateliers comme ça pour pouvoir participer en fait à leur essor et aussi au mien.
Interview de Raphaelle Duchemin